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sérieuse. En un mot, une génération nouvelle a trouvé pour se produire des droits nouveaux, limités encore, si l’on veut, mais réels, et de là le caractère des récentes élections, devenues par le fait une sorte de reprise de possession de la scène publique, l’expression tumultueuse et vivace de l’opinion renaissante. Ce mouvement, il ne faut ni le nier ni l’exagérer ; il faut en démêler les élémens, il faut, autant que possible, le suivre pas à pas et le surveiller, il faut savoir d’où il vient et où il va. Aujourd’hui la meilleure des politiques, c’est de chercher à se reconnaître et de discerner les courans qui tourbillonnent à la surface du pays.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est la futilité prétentieuse ou brouillonne de certains esprits qui arrivent quand on est déjà depuis longtemps en chemin, quand on a passé les plus mauvais momens, et qui prennent aussitôt l’air de turbulentes mouches du coche. Il semble, à les entendre, qu’ils ont tout fait, et qu’avant eux on ne songeait à rien : c’est de leur propre main qu’ils viennent d’arracher le char de la France de l’ornière où il était embourbé, c’est leur parole qui a offert heureusement les premiers exemples de liberté et de fierté, c’est à eux indubitablement que la France vient de donner raison dans les élections, parce qu’elle a nommé quelques députés qui sont la fleur du nouveau radicalisme. La France, il est vrai, n’a pas nommé tous ceux qu’ils lui présentaient ; n’importe, la France se précipite sous leur drapeau, la France est avec eux, et peu s’en faut que nous-mêmes, avec tous les esprits modérés, nous ne soyons tenus de considérer ces étranges polémistes de la dernière heure comme des libérateurs et de leur dire merci ! Doucement, on n’est pas des libérateurs à si bon compte, pour quelques épigrammes qui ne sont même pas toujours bien tournées, et nous n’avions pas attendu si longtemps pour savoir qu’il y avait quelque chose à faire. Il y a dix-sept ans que nous nous délivrons jour par jour, non pas, il est vrai, en prétendant tout briser et tout saccager, mais en défendant avec une fidélité invariable la cause des idées libérales et justes, en tenant nos espérances et nos efforts au-dessus des défaillances passagères, en défendant, en ravivant ces notions supérieures de dignité et de liberté sans lesquelles les intelligences s’avilissent, et les sociétés s’énervent. Ce n’est point assurément d’aujourd’hui ni d’hier que tous les esprits sérieux et dévoués à la grande patrie française ont senti le besoin de cette délivrance qui ne s’accomplit pas en un jour. Il y a longtemps qu’ils se sont remis à l’œuvre, faisant un pas quand ils n’en pouvaient faire deux, aidant au progrès lorsqu’ils le pouvaient, réveillant dans le pays le goût des institutions libres, montrant la nécessité des garanties par le danger des omnipotences discrétionnaires. Et si les impatiens, les violens, les impétueux, peuvent parler aujourd’hui, s’ils peuvent se réunir publiquement, défendre leur cause et réussir quelquefois, à quoi le doivent-ils, si ce n’est à ces efforts multipliés, à ce travail patiemment