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les calculs politiques, qui tiennent à la force des choses : c’est que par le fait un pays comme la France ne peut rester indéfiniment endormi. Il peut, dans un moment de lassitude, se dégoûter des orages et des excitations trop violentes d’une vie publique troublée par le déchaînement des passions extrêmes ; il accepte provisoirement le repos, l’inaction politique, et on peut l’amuser alors en lui faisant des boulevards, en multipliant les diversions, les satisfactions matérielles. C’est tout au plus l’affaire de quelque temps. Notre histoire est là tout entière depuis le commencement du siècle. On la voit coupée à des intervalles presque fixes de quinze ans, de vingt ans, par un de ces réveils qui peuvent ne pas dépasser un progrès régulier, si on les saisit à propos, qui conduisent aussi à de véritables révolutions, si on ne les comprend pas. Une génération nouvelle a grandi et entre sur la scène. M. Rouher l’a dit un jour en plein corps législatif, et on l’a pris au mot. Une génération nouvelle se dégage chaque jour du sein du pays ; elle n’a connu, celle-là, ni les épreuves de 1848 ni les défaillances de 1851. Elle arrive avec ses instincts nouveaux, avec un irrésistible besoin d’action, impatiente, incohérente, si l’on veut, n’ayant ni l’expérience ni les habitudes régulières de la liberté, mais aspirant justement à conquérir ce qu’elle n’a pas et demandant sa place. Elle veut s’émanciper, elle a le pied leste et l’humeur audacieuse comme ceux qui ont leur chemin à faire, et qu’on le remarque bien, les élections qui viennent de se terminer étaient pour elle la première occasion de se produire. Bien que la présence de cet élément nouveau donnait d’avance à ces élections une importance singulière, et devait leur imprimer un mouvement d’accélération. C’était ainsi déjà lorsque la vie publique était restreinte, lorsque 200,000 ou 300,000 électeurs avaient seuls des droits politiques ; qu’est-ce donc lorsque des millions d’hommes vont au scrutin, quand c’est le suffrage universel qui s’ébranle, entraînant le pays dans ses oscillations ?

Il y a là certainement un fait nouveau dont on ne s’est pas entièrement rendu compte, même en le prévoyant, et le mouvement a été d’autant plus vif, la transition a pu être d’autant plus agitée, que cette fois ce n’était plus comme dans les élections précédentes depuis vingt ans. L’épreuve s’est faite dans des conditions plus larges, au lendemain des lois qui ont consacré le droit de réunion et émancipé la presse de la tutelle administrative. On jugera ces lois comme on voudra, elles n’ont pas moins été une restitution de liberté. Toutes les opinions se sont retrouvées en présence. On a pu discuter ce qui s’est fait depuis dix-sept ans, réveiller des passions que les optimistes croyaient éteintes, reprendre une à une toutes les questions politiques qui ont ému le pays, agiter des problèmes sociaux qui ne sont certes pas sans péril ; ce qu’on n’avait pu dire jusque-là, on l’a dit, et, soyons de bon compte, on s’est même passé des fantaisies qui n’étaient pas toujours de la politique bien