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faire la police ou de se débattre avec les Indiens ; mais il s’empresse de les rattacher à la communauté par des voies de communication, par des correspondances postales. Il pense aux besoins du culte, à ceux de l’instruction, et y pourvoit, s’il le faut, avec les ressources du trésor public. Avant que ce chemin de fer trans-continental ne fût ouvert, le transport des malles entre le Missouri et le Pacifique coûtait à l’Union des sommes prodigieuses. Ces dépenses ne sont pas stériles ; elles favorisent le mouvement des colons vers les nouveaux établissemens, et c’est ainsi que de ville en ville, à travers d’immenses espaces, malgré les obstacles naturels et l’hostilité des tribus indigènes, les pionniers américains ont marché à pas de géant de l’Atlantique au Pacifique.

Avec autant d’ardeur et d’entrain, l’Anglais n’agit pas tout à fait de même. S’il reste encore des Indiens dans un siècle ou deux, et qu’ils aient eu le soin de conserver les traditions de leur histoire, ils se souviendront comme de leur plus heureux temps de l’époque où la défunte compagnie de la baie d’Hudson était maîtresse de leur territoire. Au sud de la ligne frontière entre l’Angleterre et les États-Unis, on extermine les natifs sans pitié ; au nord, les deux races ont vécu en paix. D’un côté, toute rencontre est l’occasion d’une lutte sanglante ; de l’autre côté, du Labrador à l’île de Vancouver, l’homme blanc est toujours bienvenu sous le wigwam de l’Indien. Incapable de se plier à une vie sédentaire, habitué à considérer la culture du sol comme une œuvre vile, le sauvage de l’Amérique du Nord était employé par les Européens au seul travail compatible avec sa dignité ; il chassait. Les indigènes de la moitié du continent en étaient venus à s’en remettre aux comptoirs de la compagnie pour s’approvisionner des objets indispensables à l’existence, d’armes et de vêtemens ; aussi lui donnaient-ils volontiers leur concours.

Il n’en fut plus de même lorsque les Anglais voulurent créer des colonies agricoles. Ils durent alors s’emparer du sol et déplacer les Indiens. En général, le colon anglais agit en cette circonstance avec les apparences de légalité qu’il ne néglige en aucune occasion. Moins brutal que l’Américain, qui dépossède brusquement les aborigènes, il entre en pourparlers avec eux, il signe un traité d’achat en bonne forme, et donne quelques menues marchandises de médiocre valeur en échange du terrain qu’il s’approprie. Le procédé est honnête, cependant le vendeur est mécontent. La tribu qui a cédé à bon compte ses droits de propriété sans se rendre un compte exact de la gravité de l’acte qu’elle accomplit reste en contact avec les Européens ; elle assiste à leurs travaux et quelquefois y prend part ; l’ivrognerie, la débauche, des maladies nouvelles, la