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Des Américains ne se laissent pas convaincre par de si belles raisons que l’entreprise qu’ils rêvent est impraticable, car ils se souviennent qu’il y a dix ans on combattait par des raisons analogues ou tout au moins équivalentes l’établissement de chemins de fer aujourd’hui exécutés. Ils savent bien que telle circonstance peut survenir qui amènerait des flots de population sur les territoires maintenant dédaignés de l’Amérique anglaise. Le mot d’ordre des pionniers du Grand-Ouest, westward ho ! ne cessera pas de résonner au 49e degré de latitude, sur la ligne de convention que les deux puissances limitrophes ont prise pour frontière commune. Il y a aux États-Unis nombre de gens auxquels l’état de société semble faire horreur ; partis du Kansas et du Nebraska, ils ont avancé sans cesse vers l’ouest à mesure que la civilisation gagnait sur leurs derrières. Parvenus jusqu’en Californie, ne pouvant plus marcher au-delà, ils se rejettent à droite ou à gauche et reviennent sur leurs pas. Ce sont ces hommes-là qui tôt ou tard jalonneront la route du Pacifique entre le Saint-Laurent et l’île de Vancouver.

L’Angleterre se sent si bien menacée dans la jouissance exclusive de ses possessions américaines par l’esprit entreprenant des pionniers de l’Union et la marche progressive de leurs établissemens, qu’elle s’efforce d’établir un lien politique étroit entre les diverses colonies qui d’un océan à l’autre se développent sous son patronage. Personne n’ignore que les plus importantes de ces provinces se sont unies depuis deux ans en une confédération qui a pris le titre de Dominion of Canada, et qui se gouverne aussi librement qu’une république sous la surveillance d’un gouverneur général nommé par la reine d’Angleterre. Le Dominion ne comprend encore que le Canada proprement dit, la Nouvelle-Ecosse et le Nouveau-Brunswick ; Terre-Neuve et le Labrador sont en instance pour y être admis. Voici maintenant que les territoires de la compagnie de la baie d’Hudson sont sur le point d’y être incorporés. La compagnie a vécu depuis deux siècles du produit de ses chasses ; or le moment approche ou le colon ne tolérera pas plus la chasse que l’industrie pastorale, qui l’une et l’autre retirent un maigre profit des vastes terrains qu’elles occupent. Aux yeux des pionniers américains, tout champ qui reste en friche, toute forêt où l’on ne débite ni planches ni madriers, est du bien perdu. Qu’un propriétaire abandonne aux bêtes sauvages une terre susceptible d’être cultivée en céréales, c’est une perte pour l’état aussi bien que pour l’individu. Menacée comme elle l’est d’une expropriation gratuite par des colons impatiens, la compagnie a écouté avec faveur les propositions d’accommodement que lui adressait le ministère anglais. On lui offre d’abandonner ses droits territoriaux actuels en échange d’une forte