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assez vagues sur ce que l’Amérique russe est capable de fournir sous ce rapport, parce que la compagnie qui avait la jouissance de ce pays s’est toujours contentée d’une exploration superficielle. Cependant on a mis à nu des filons de houille en divers points, notamment dans la baie de Kenaï : le combustible de cette provenance a même paru supérieur à celui que l’on extrait des mines de Vancouver, qui, faute de meilleurs gisemens, ont été l’objet en ces dernières années d’une exploitation assez active.

Fourrures, poissons, glace, minerais, bois de construction, en voilà bien assez pour attirer des colons et pour alimenter un commerce important. Toutes ces productions, qui manquent à la Californie, ne sont qu’à huit ou dix jours de distance de la rade de San-Francisco. Les Américains vont se précipiter vers l’Amérique russe avec l’ardeur qu’ils apportent dans tout pays nouveau. On peut compter sur eux pour ne rien laisser perdre des richesse naturelles du sol. Sans doute ils abuseront d’abord jusqu’à la licence, suivant leur coutume, de la liberté d’allures que le gouvernement fédéral leur laissera dans ce domaine à peine exploré. La compagnie russe exploitait, comme l’on dit, en bon père de famille ; elle recommandait à ses chasseurs de fourrures d’épargner les femelles et les jeunes animaux, afin de ne pas anéantir les races. Les chasseurs libres vont tuer au contraire tout ce qui passera au bout de leur fusil. Les Indiens imiteront les blancs dans cette guerre de destruction qui ruinera peut-être en peu d’années la plus ancienne industrie du pays ; mais en même temps d’autres industries prendront naissance, les immigrans arriveront en grand nombre, des villes sortiront de terre. Si l’on considère que les Russes, après quatre-vingts ans de possession, sortent de là sans presque y laisser d’habitans et sans même connaître l’intérieur, on se dira que la colonisation spontanée et indépendante, telle que l’exécutent les Américains des États-Unis, est bien autrement puissante que les entreprises timides d’une compagnie privilégiée. Toutefois ce n’est pas tout que de considérer l’acquisition de l’Amérique russe sous le rapport des avantages commerciaux et industriels que les citoyens de l’Union en sauront retirer. Cet acte d’annexion cachait aussi une pensée politique que l’on ne saisira bien qu’après avoir examiné la situation des diverses provinces qui bornent au nord le continent américain.


III

Il n’y a plus maintenant que deux nations en présence sur les confins de l’Amérique septentrionale. On pourrait presque dire