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fait retomber la jeune fille palpitante de bonheur sur l’épaule de Walther, qui la reçoit dans ses bras. David et Madeleine sont entrés comme par hasard, et la scène finit par un grand quintette, où tous ces cœurs émus se fondent en un hymne de joie et d’espérance.

Le rideau s’abaisse un instant et se relève bientôt après sur une grande scène populaire. Une vaste prairie s’étend au bord de la Pegnitz. Nuremberg dessine au fond ses tours et sa citadelle ; une estrade flanquée de girandoles se dresse à gauche. Bourgeois et bourgeoises arrivent en nacelles et sont reçus par les apprentis qui, vêtus en hérauts, brandissent gaîment leurs sceptres enrubannés. Les corporations se succèdent et arborent leurs bannières sur la tribune des maîtres chanteurs. Les tailleurs, les cordonniers et les boulangers chantent un couplet en l’honneur de leur patron, les trompettes de la ville sonnent leurs fanfares et le peuple applaudit. La joie est au comble quand arrive un bateau tout rempli de paysannes. Aussitôt les apprentis courent s’en emparer, les fifres attaquent un motif piquant et rustique, les couples se forment en un clin d’œil, et voilà la danse en branle. Un cri qui s’élève dans la foule coupe court à ce bal improvisé. Les paysannes, lâchées subitement, volent aux quatre coins de la place, les apprentis se rangent respectueusement, et les cuivres, reprenant la marche solennelle de l’ouverture, annoncent l’arrivée des maîtres chanteurs. Ils se rangent sur la tribune, Pogner conduit sa fille, qui tient la couronne destinée au vainqueur. Hans Sachs arrive le dernier. En apercevant son favori, le peuple ne contient plus sa joie, et, d’une inspiration spontanée, unanime, entonne le beau cantique de Sachs sur la réformation :

Debout ! Voici venin le jour !
J’entends aux vallons d’alentour
Un rossignol à la voix claire[1].
Sa voix réveille ciel et terre !
La nuit s’enfuit à l’Occident,
Le jour se lève en Orient,
Le ciel livide se colore,
Salut, ardente, immense aurore !

Ce cantique, entonné à pleine poitrine par une foule enthousiaste, produit un effet grandiose, irrésistible. Il y a dans ces pianissimo suaves, qui s’enflent de note en note jusqu’au fortissimo le plus retentissant, un sentiment à la fois doux et terrible qui pénètre jusqu’à la moelle des os. On dirait tout un peuple qui se replie dans les profondeurs de son âme avec un attendrissement religieux, et puis laisse éclater sa joie formidable dans un cri de liberté. Un

  1. Allusion à Luther. Cette poésie se trouve dans les œuvres de Hans Sachs.