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nombre d’opérateurs reprirent les travaux interrompus sur ce point. L’insuccès des deux sondages antérieurs ne les décourageait pas, car ils savaient qu’avant de déclarer un territoire improductif il est nécessaire de compter par centaines les coups de sonde infructueux, les dry holes, trous secs. En voyant cette belle ardeur, les habitans d’Oil-Springs ne purent s’empêcher de rire ; mais dix mois plus tard ils ne riaient plus guère, car le résultat des nouvelles recherches avait été la construction d’une ville rivale de près de 2,000 âmes, ayant une maison d’école fréquentée par 300 pupilles : tel spouter de Petrolia représenta bientôt à lui seul la moitié de la production d’Oil-Springs.

La nouvelle ville a définitivement assuré son triomphe sur sa rivale par la construction d’un petit chemin de fer d’une dizaine de kilomètres qui la relie maintenant à la station de Wyoming et par suite au réseau ferré de la péninsule. Ce chemin n’était point encore achevé lorsque j’atteignis le district d’Enniskillen ; il fallut me rendre à Petrolia dans une carriole découverte roulant sur le plank road) chaussée formée de traverses de bois grossièrement équarries et juxtaposées. Ce sont les grandes routes de ces pays primitifs. Les traverses de bois, secouées nuit et jour par le passage des teams[1] chargés de barils d’huile, n’étaient nulle part de niveau, et il paraissait inutile de réparer la voie, puisque le chemin de fer allait bientôt permettre d’abandonner le plank road. Nous marchions de secousse en cahot. Je repassais philosophiquement dans mon esprit des exemples d’aggravations de maux causées par l’abandon des choses anciennes au moment où les choses nouvelles ne fonctionnent point encore, lorsque notre carriole, repoussée hors du track de bois par un char pesant et brutal, enfonça jusqu’au moyeu dans la fange. Mes compagnons de voyage sautèrent à bas en un clin d’œil, j’en fis autant ; mais mes bottes, venues de Paris, étaient vraiment microscopiques et insuffisantes pour un oil man. Du reste la mésaventure nous réjouit tous, et il fut aisé de la réparer dès notre arrivée dans l’unique rue que bordent les maisons de bois de Petrolia. Au milieu de magasins où se trouvent ensemble des épiceries et des tissus, on voit des cabanes d’ouvriers, des habitations de propriétaires, des offices privés et publics, banques, bureau de la poste, board of trade, tout cela clair-semé le long d’une chaussée sans trottoirs, lacérée d’ornières profondes. Deux genres d’enseignes se détachent sur tout le reste, des affiches pour la vente de terres à huile de « première qualité, » des boutiques de fripiers garnies de longues redingotes et de pantalons de toile cirée,

  1. Le team est un char traîné par des bœufs ou des chevaux. Lorsqu’il est destiné à traverser des ravins et des forêts, il n’a pas de roues.