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L’un d’eux, au niveau même du lac Huron, est entièrement abrité par de hautes falaises boisées ; tandis que la tempête fait rage sur les bords, elle ne parvient pas à rider la surface de ces eaux intérieures, et l’Indien n’en approche qu’avec une crainte superstitieuse, car c’est le vrai séjour du Grand-Esprit. L’ours, le caribou, le grand aigle à tête blanche, si bien décrit par Audubon, sont les hôtes principaux de cette solitude ; depuis longtemps, il n’y a plus de castors, on les a exterminés. En approchant du débarcadère, je vis pour la première fois, dans une clairière faite par l’incendie, le derrick sacramentel. Le derrick est un échafaud élevé qui dénonce de loin les régions d’huile, comme la cheminée de briques signale une manufacture. A côté se trouve la cabane qui abrite la machine motrice, dont la fonction est de percer d’abord la roche à l’aide des outils de sondage, et d’extraire ensuite le pétrole au moyen d’une pompe.

L’outillage que les Américains ont adapté aux nécessités de cette industrie improvisée est des plus élémentaires : il se compose essentiellement d’une machine de huit à dix chevaux-vapeur et d’un équipage de sonde artésienne, mû le plus souvent par une corde, comme cela se pratique en Chine, quelquefois par une série de tiges de bois vissées les unes aux autres. Quand le chercheur d’huile, généralement surnommé operator, a choisi son point d’attaqué, il s’occupe immédiatement d’ériger le derrick au-dessus de ce point ; cette charpente, haute de 10 ou 12 mètres, est destinée à recevoir la poulie dans laquelle passe la corde qui tient les outils de sondage suspendus, et les fait monter ou descendre sous l’impulsion de la machine, Après cela, il pratique un trou carré ou rond, un véritable puits, dont le centre est à l’aplomb de la poulie du derrick. Ce puits est poussé jusqu’à ce que l’on mette à nu la roche vive ; c’est alors que commence l’opération du sondage proprement dit. L’outil qui sert à entamer la roche se compose de plusieurs parties, dont les deux principales sont le drill ou trépan et le temper screw, la vis modératrice. Le trépan est un épais marteau tranchant et aciéré ; il est mis en mouvement par un balancier fait de madriers grossièrement équarris et qui oscille sous l’action de la machine à vapeur en s’appuyant sur une solide pièce de charpente qui porte le nom expressif de pilier de Samson, Samson post. A chaque coup, il broie la roche qu’il s’agit de traverser. La vis modératrice se trouve à l’orifice du puits, sous la main des opérateurs. Elle relie le trépan à la corde du balancier. Un homme est spécialement chargé de la manœuvrer : assis sur un escabeau élevé, il tient à la main le levier qui lui permet de tourner la vis de manière à allonger la corde au fur et à mesure que le trépan pénètre