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d’abattre ou d’émousser les arêtes vives de leurs aiguilles et de leurs ravins à pic. Tandis que le soulèvement de l’Amérique du Nord se propageait ainsi dans le sens de la marche du soleil, l’Europe oscillait sur ses bases. L’océan pénétrait alors de toutes parts dans un vaste archipel dont quelques îles se sont depuis appelées la Vendée, la Scandinavie, la Bavière ; les flots recouvraient encore tout ce qui devait être un jour les Alpes, les Pyrénées, les Apennins, les Karpathes et le Caucase. Par intervalles, la mer reculait, des îles se trouvaient soudées l’une à l’autre ; mais les siècles passaient, et le vieil océan revenait construire des roches de sédiment nouvelles. Cette lutte a produit une accumulation de terrains d’âge récent dans l’ouest de l’Europe. Aux yeux du géologue, et en bornant la comparaison aux deux rivages de l’Atlantique, l’Europe serait plutôt le nouveau continent, et l’Amérique l’ancien. Celle-là représenterait assez exactement à l’esprit la création tourmentée de quelque chercheur d’idéal possédé du besoin de retoucher sans cesse un modèle toujours inachevé, celle-ci au contraire l’œuvre majestueuse et calme d’un vieux maître satisfait du travail d’une longue vie.

Dans la contrée qui nous occupe, les formations les plus anciennes sont ramassées vers le nord, et les plus récentes apparaissent progressivement à mesure que l’on descend vers la vallée de l’Ohio. Pour explorer convenablement les régions à pétrole, il est donc naturel de commencer par le Canada. J’allai visiter tout d’abord, au nord du lac Huron, les gîtes de la grande île Manitouline. Le bateau à vapeur qui me débarqua dans cette île portait le nom indien de Wabuno (l’homme qui danse devant l’aurore) ; il y avait à bord trois passagers, un traitant irlandais avec sa provision de wiskey pour les naturels, un frère d’une mission de jésuites établie dans l’île, enfin un spéculateur de Saint-Louis venu sur les grands lacs pour regagner de la santé, tout en flairant les bonnes affaires de mines de pétrole, cuivre, fer et argent. Manitouline est désignée sur les cartes sous le nom auxiliaire de Sacred Island, l’île sacrée. Les Indiens y placent le siège de la Divinité. C’est la plus grande des îles de tout ce groupe ; vue du large aux premières lueurs du jour, elle laisse une impression de morne tristesse ; sauf sur la côte orientale, qui présente quelques ondulations de terrains et des traces de culture, elle est partout plate, basse et couverte de forêts aux arbres longs et minces, comme on en voit dans tous les paysages canadiens. Les contours en sont dentelés par un grand nombre de baies et de caps aigus, surtout sur le. rivage septentrional, qui a reçu directement l’assaut des grands glaciers du nord. Dans l’intérieur se trouvent plusieurs lacs assez vastes.