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ignorées de tous. C’était trop ; elles souillaient de leur présence le sol orthodoxe du Tyrol, où l’hérésie ne doit point être soufferte. Elles furent obligées de quitter leurs foyers, de vendre à vil prix ce qu’elles possédaient et de chercher un refuge dans l’exil. Des faits pareils étonnent, on voudrait en douter. Cependant ils ne sont que l’application de lois naguère encore en vigueur à Naples, à Florence, en Espagne, dans tous les pays qui ont tenu à mettre leur législation en harmonie avec les canons de l’église.

Joseph II avait décrété qu’aucune pièce émanant de la cour de Rome ne serait publiée dans ses états sans être revêtue du placet, c’est-à-dire sans l’autorisation du pouvoir civil. En France, le premier des articles organiques contient une stipulation exactement semblable. Même sous l’ancien régime, la plupart des états catholiques avaient cru devoir se garantir par ce moyen contre les entreprises hostiles du saint-siège. La France ne semble pas vouloir y renoncer, car le ministre dirigeant a déclaré, dans la séance du 10 juillet 1868, que le gouvernement français disposait encore des mêmes armes que sous l’ancien régime, et qu’il en ferait usage contre la doctrine du Syllabus, « qui est contraire aux principes sur lesquels s’appuie la constitution de l’empire. »

L’article 2 du concordat autrichien supprime complètement le placet. L’église a considéré cette suppression comme un grand triomphe. Dans son allocution du 3 novembre 1855, le pape s’en félicitait. « En raison de notre droit divin de primauté, disait-il, on a écarté, radicalement éliminé et fait complètement disparaître du concordat l’opinion fausse, perverse, extrêmement funeste et tout à fait contraire à cette primauté divine et à ses droits, opinion toujours condamnée, proscrite par le siège apostolique, et d’après laquelle le placet ou l’exequatur du gouvernement civil devrait être obtenu pour ce qui concerne les choses spirituelles et les affaires ecclésiastiques. » Parmi les défenseurs des droits du pouvoir civil, il s’en trouve beaucoup qui veulent maintenir ou rétablir le placet. Permettre à un souverain étranger d’abroger les lois, de délier les citoyens de leur serment, de leur commander la désobéissance aux autorités légitimes en vertu d’un prétendu droit divin de primauté, c’est, suivant eux, sacrifier l’indépendance de l’état et préparer la guerre civile. Ce danger n’est que trop réel, l’histoire le démontre ; mais ce n’est plus avec le placet qu’on peut le conjurer. Rien ne fera que le souverain des consciences ne soit pas le vrai souverain. Dans tout pays catholique où la foi est générale et ardente, le pape sera le maître, quelque précaution qu’on prenne. Quand M. Rouher a parlé des armes que lui fournissaient les articles organiques, les journaux religieux l’en ont plaisanté, et non sans raison. Ces armes rouillées ne sont pas plus efficaces que ne le