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Que les élections prochaines doivent avoir une portée singulière au point de vue de nos affaires extérieures aussi bien qu’au point de vue du développement de nos libertés intérieures, il est facile de le pressentir dès ce moment. Sans doute c’est une question de savoir si le pays a une notion assez nette des intérêts qui s’agitent en Europe pour se prononcer avec fermeté, avec décision, dans un sens déterminé, de façon à lier la politique officielle. Il ne se dégage pas moins de ces grandes manifestations d’opinion un sentiment général avec lequel il n’est pas aisé de rompre. Ce sentiment sera pacifique, nous n’en doutons pas, et sous ce rapport une partie de la presse française ne fait certainement qu’exprimer un instinct public. Il ne faudrait pourtant pas qu’on s’y méprît en Allemagne. Si depuis deux ans il s’est formé en quelque sorte une couche de sentimens, de dispositions pacifiques à la surface de la France, au fond, tout au fond, subsiste ce malaise qui se réveille au moindre signe, au moindre incident, on le voit tous les jours encore. La maladie obstinée, monotone, universelle, c’est qu’on ne veut pas croire à la paix. On y croit jusqu’à demain, jusqu’après les élections ; au-delà, on n’y croit plus, et la Prusse, qui la désire certainement, s’arrange quelquefois de façon à laisser voir qu’elle y croit encore moins que tous les autres. Elle a par instans des impatiences curieuses, comme tous ceux qui ne se sentent pas à l’aise au milieu des embarras qu’ils ont accumulés. Elle envoie des officiers dans le Luxembourg pour surveiller le démantèlement de la forteresse. Quel droit exclusif de contrôle a-t-elle ? On n’en sait rien. Il est bien clair qu’il y a contre elle de mauvais desseins, puisqu’on n’a pas encore démoli trois forts qui regardent l’Allemagne, — et elle secoue ce malheureux grand-duché, elle le met hors de lui, si bien que les Luxembourgeois ont fini par se plaindre tout haut dans leurs chambres à la stupéfaction générale. Nous n’avons pas entendu dire encore qu’une armée française défile du côté de la frontière du Luxembourg, quoiqu’on ne néglige rien en vérité pour nous assurer que nous sommes prêts, que toutes les mesures possibles sont prévues, et qu’on ait toujours l’air d’engager les Prussiens à tirer les premiers.

L’incident qui doit mettre le feu à toutes ces poudres ne s’est pas encore produit, et ce ne sera pas l’incident belge qui aura cette déplorable fortune, puisqu’il est aujourd’hui provisoirement amorti dans une commission. Ce n’est pas que l’affaire soit finie, elle n’est même pas très avancée. La vérité est que jusqu’ici on ne s’est entendu à peu près sur rien, si ce n’est sur la nécessité de s’entendre. A parler franchement, tout le mal est venu de cette loi que le ministère belge a présentée avec une si singulière précipitation, et derrière laquelle il n’a pu s’abriter jusqu’au bout, puisque c’eût été opposer une fin de non-recevoir désobligeante au gouvernement français, qui se bornait à réclamer l’examen de la question après la loi comme on aurait dû l’examiner avant. Comment