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mis, sont des forces diverses qui concourent à la même œuvre, qui sont solidaires entre elles dans la prospérité comme dans le désastre ; tout le reste n’est qu’une ruineuse chimère, à Paris aussi bien qu’à Genève. Voilà le vrai, le redoutable problème, et on tombe d’un peu haut, il en faut convenir, en arrivant à la suppression des livrets comme à un remède des maux de l’industrie actuelle, — à moins que cette utile et innocente réforme ne soit un moyen de préparer les ouvriers à faire de bonnes élections. Ce serait fort légitime, quoique le procédé ne soit peut-être pas infaillible.

Ce n’est pas là sûrement dans tous les cas le seul moyen que le gouvernement tient en réserve pour triompher dans cette lutte électorale où va flotter le drapeau des libertés françaises. Il a d’autres ressources, d’autres moyens de persuasion un peu moins douteux. Quand s’accompliront-elles, ces élections vers lesquelles se tournent désormais tous les regards ? On ne le sait pas encore d’une façon précise ; on distingue seulement qu’elles approchent ; on le sent à la lassitude du corps législatif, à la tournure des discussions, à l’empressement avec lequel on distribue les petites faveurs administratives, à une certaine fermentation qui commence dans le pays ; on le sent particulièrement à une indécision de toute chose, comme si on était résolu à ne rien faire avant cette manifestation décisive du suffrage universel. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que les candidatures ne vont pas manquer, elles affluent de toutes parts ; on en compte provisoirement plus de huit cents en attendant le reste. Il y en a de fort naturelles assurément, il y en a aussi beaucoup en vérité qui sortent on ne sait d’où, qui fleurissent avant le printemps, et qui seront mortes avant l’été. Somme toute, le pays a devant lui une ample provision de représentans de bonne volonté tout prêts à entrer en campagne, à parcourir villages et hameaux, pour conquérir quelques voix. Avouons-le cependant, il y a quelque chose de peu sérieux et de passablement répugnant dans cette espèce de mendicité électorale, dans cette interversion de rôles qui fait de la France une grande coquette devant laquelle tout le monde se croit appelé à parader en lui demandant ses faveurs. Nous ajouterons qu’il peut y avoir aussi quelque chose de parfaitement dangereux pour la cause libérale dans cette irrésistible passion de candidature qui s’empare de toutes les têtes en certains momens. Sans doute chaque parti, chaque nuance tient à paraître en champ clos avec son petit drapeau de fantaisie ; on veut se compter, faire sa manifestation à un premier tour de scrutin en se promettant de se replier sur un candidat unique à un second tour. Fort bien, si on arrive au second tour. La question est seulement de savoir si les candidats officiels ne passeront pas à travers cet éparpillement de voix où toutes les vanités, toutes les prétentions, trouvent le moyen de se satisfaire.

Le malheur est que notre pays, si peu accoutumé encore à exercer tous