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notamment le prince de Taïasou. Stotsbachi demanda toutefois à se rendre à Mito, ce qui lui fut accordé. Le 3 mai 1868, le château fut évacué par les officiers et soldats de l’ex-taïcoun, qui se mit en marche, à pied, à la tombée de la nuit, pour sortir de Yeddo. Le gouvernement du mikado a décidé que la famille de Tokoungawa, quoique privée du pouvoir, élirait un chef à l’ancienne manière, mais que ses revenus, fixés par lye-yas à 8 millions de kokous, étaient abaissés à un peu moins du dixième de ce chiffre, à 700,000 kokous, pris sur la province de Sourounga et d’autres parcelles disséminées de territoire ; une récente modification a affecté à cette famille les trois provinces contiguës de Sourounga, Toutomi et Mikawa, sur lesquelles Stotsbachi et les autres membres de la famille taïcounale résident depuis peu. Stotsbachi n’ayant plus le titre de taïcoun, la famille de Tokoungawa lui a désigné un successeur. Un tout jeune enfant, fils du prince gosangkio de Taïasou, a été élu sous le nom de Tokoungawa-Kaménoské.

Au moment où il acceptait ces conditions, en août 1868, l’ex-taïcoun a réuni ses hattamottos, et leur a fait savoir que la diminution de ses revenus l’obligeait à une réduction proportionnée dans le nombre de ses serviteurs. Il leur a offert ou de s’attacher sans solde à sa nouvelle fortune, ou de prendre du service auprès du nouveau gouvernement, ou de se retirer chez eux ; il les a engagés à courber la tête devant les ordres du mikado et à ne prendre part en aucun cas à la guerre civile. Ses avis n’ont pas empêché quelques milliers de ses anciens serviteurs de garder la campagne et de prendre part aux luttes intestines qui ont depuis lors ensanglanté les provinces du Japon au nord de Yeddo[1]. Les kangouns, arrivés

  1. Il vient de se produire un fait important qui se rattache à cette dispersion des nombreux serviteurs de la famille de Tokoungawa. Groupés autour de quelques chefs, les officiers dissidens se sont concentrés sur les navires de guerre de l’ex-taïcoun, restés presque tous entre leurs mains lors de la reddition de Yeddo. Les navires, conduits par l’amiral Enomoto-idzoumi-no-kami, ont quitté Yeddo en octobre 1868, et se sont rendus tout d’abord sur les côtes des provinces nord de Nipon, où les appelaient les daïmios encore en guerre avec les kangouns. Les daïmios toutefois, en désaccord entre eux, dominés par des karos qui entretenaient des intelligences avec le sud, étaient à la veille de renoncer a la lutte. Convaincus qu’il n’y avait plus à compter sur eux, les partisans de Tokoungawa, réunis au nombre de 4,000, se sont rembarques et ont pris la route de la grande île de Yéso, au nord de Nipon. Arrivés dans les premiers jours de décembre sur les côtes de cette lie, ils y sont descendus, se sont emparés, après une marche de trois jours, du port d’Hakodadé, et ont, dans une courte campagne, soumis par les armes le reste des points fortifiés de l’île. Les fonctionnaires et les troupes du mikado ont évacué le pays après une faible résistance. A l’heure qu’il est, les nouveaux possesseurs de l’Ile y établissent un gouvernement avec lequel les autorités consulaires sont entrés en relation. Ils déclarent que, dépouillés de leurs biens par la révolution, et ayant demandé en vain à se retirer à Yéso, ils ont dû exécuter ce dessein par la force et conquérir une nouvelle patrie.
    Quels sont les projets, quel est l’avenir de ces émigrés ? dans quelle situation resteront-ils vis-à-vis du gouvernement du Japon ? Nul ne saurait le dire encore, mais on pourrait dès aujourd’hui conseiller à ce dernier de les laisser se constituer en paix dans leur récente conquête. Le plus sérieux danger que court l’indépendance du Japon lui vient de sa gigantesque voisine la Russie. Cheminant lentement et sans bruit par le nord, cette puissance a déjà couvert de ses postes la moitié supérieure de l’île de Krafto, contiguë à Yéso. La fondation, dans cette dernièreîle, dont les richesses naturelles sont encore à peu près inexploitées, d’une colonie japonaise populeuse et prospère constituerait pour l’empire des mikados la plus sérieuse barrière qu’il pût opposer à ces dangers plus ou moins prochains d’invasion étrangère.