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gouvernement, on n’en avait pas ; on eût pu dire qu’on n’en avait jamais eu. Les revenus du domaine taïcounal, qui, dans la pensée de Gonguensama, devaient faire face aux charges de la chose publique, avaient été peu à peu absorbés par le développement des familles de hattamottos vivant sur ce domaine. Ces hattamottes, parmi lesquels se trouve peut-être à l’heure qu’il est la partie la plus saine et la plus patriotique de la nation, s’étaient imposé les années précédentes de grands sacrifices d’argent pour subvenir aux préparatifs de guerre. Stotsbachi avait songé à organiser les finances, et demandé conseil au ministre de France, lequel lui avait remis un plan d’organisation de gouvernement divisé en ministères. Ogorikoské-no-ské, homme intègre et d’une intelligence des affaires rare au Japon, fut chargé du service des finances ; mais ses efforts échouèrent devant les résistances ou les malversations d’une bonne partie de ses collègues, et les réformes qu’il essaya d’introduire lui firent beaucoup d’ennemis[1]. La nouvelle organisation administrative, appliquée par des gens qui n’en avaient ni la clé ni les traditions, ne put produire aucun bien. Pour ce qui est des ressources militaires, le taïcoun n’avait guère, malgré des achats considérables de canons et de fusils, obtenu de meilleurs résultats. Arrivée depuis le mois de janvier, la mission française avait commencé ses travaux ; mais, appelée près d’un gouvernement qu’on supposait fort et durable, elle avait songé à créer des établissemens militaires sérieux, un arsenal, des écoles d’instruction théorique et pratique. Quelques bataillons et batteries se trouvaient seuls organisés. Si l’on eût demandé à nos officiers d’appliquer leurs soins à la rapide formation de troupes destinées à combattre immédiatement, ils eussent modifié leurs plans. A une armée régulière, à peine disciplinée, mal conduite, démoralisée et tombée en discrédit depuis les échecs de la guerre de Nagato, s’ajoutaient les daïmios gonfoudaïs, requérables avec leurs forces ou qui tenaient garnison dans les châteaux impériaux, et dont le bon vouloir, parfois même la neutralité, étaient au moins douteux.

Il faut enfin, pour bien se rendre compte des événemens, parler de l’active intervention de la diplomatie européenne au Japon. Nous avons vu l’ascendant qu’avait acquis auprès de l’entourage du taïcoun le ministre de France, Cette influence, due entièrement à la personnalité de M. Roches, lui avait permis d’assurer en maintes occasions de sérieux avantages à des opérations commerciales et

  1. Ogorikoské-no-ské est tombé victime de son dévouement à son pays. Retiré dans ses terres, au printemps de 1868, lors de l’envahissement du Quanto par les gens du sud, il est tombé au pouvoir d’un groupe de partisans qui lui ont coupé la tête et ont exécuté en même temps son fils.