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les interprétant dans le sens de l’hétérogénèse. On doit s’attendre à trouver chez les invertébrés inférieurs des faits de même nature, et déjà le savant anglais que je viens de citer en a signalé qui semblent rentrer dans cette catégorie. Tout paraît donc confirmer le jugement qu’il porte sur le travail, très intéressant d’ailleurs, de M. Hæckel[1].

La pensée qu’un être en voie de développement peut dépasser le point d’organisation où s’étaient arrêtés ses ancêtres et ses propres parens est au fond celle de Geoffroy. Je ne connais rien dans l’histoire de l’embryogénie proprement dite qui puisse la justifier. On pourrait bien plutôt invoquer en sa faveur un fait fort singulier qui s’est passé au Muséum même, et dont les preuves vivantes existent encore dans notre ménagerie des reptiles. Je veux parler de la transformation des axolotls en amblystomes. Ces deux genres font partie du groupe des batraciens urodèles, ainsi nommés parce qu’ils conservent pendant toute leur vie la longue queue qui disparaît chez les grenouilles et les crapauds arrivés à l’état adulte. Les axolotls sont des animaux exclusivement aquatiques, respirant à la fois l’air en nature et l’air dissous dans l’eau. Ils ont en conséquence des poches pulmonaires analogues à celles des autres reptiles, et des branchies bien développées qui forment de chaque côté du cou trois paires de houppes. Leur queue, organe essentiel de la natation, est large, comprimée, et, comme celle de nos tritons ou lézards d’eau, elle est doublée par une large crête qui s’étend en dessous jusqu’au ventre et en dessus tout le long du dos. Les amblystomes vivent sur terre, ne respirent que par des poumons, ont une queue arrondie et sans crête. Ces différences organiques en rapport avec des genres de vie aussi distincts ont fait placer les axolotls et les amblystomes dans deux familles différentes[2].

Or en 1864 le Muséum reçut six axolotls, parmi lesquels se trouvait heureusement une femelle. Dès l’année suivante, de la mi-janvier aux premiers jours de mars, celle-ci pondit en deux fois un très grand nombre d’œufs qui se développèrent très régulièrement. Aux premiers jours de septembre, les jeunes ne se distinguaient presque plus des parens. À ce moment, des changemens très étranges se manifestèrent spontanément chez quelques-uns d’entre eux. Les houppes branchiales, les crêtes du dos et de la queue diminuaient,

  1. Notes on the Hydroïda. (The Annals and Mazagine of natural history, 1865.)
  2. Les axolotls et les amblystomes sont les uns et les autres originaires de l’Amérique du Nord. Les zoologistes des États-Unis ont décrit une vingtaine d’espèces appartenant au second de ces deux genres, et seulement cinq espèces d’axolotls. Celui qui a fait le sujet des observations de M. Duméril vit dans le lac de Mexico et paraît être le Siredon lichenoïdes de Spencer Baird. (Duméril.)