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deux tranchans. S’il est de nature à être opposé aux idées de Lamarck, il peut également être retourné contre celles de Geoffroy. Quelque exagérées que soient les anomalies apparues chez nos animaux domestiques, elles ne les entraînent jamais hors des limites de l’espèce considérée physiologiquement. Au point de vue de la forme, le gnato s’éloigne de ses frères de toute la distance qui sépare un genre de l’autre ; il est néanmoins resté un vrai bœuf par la facilité de ses croisemens avec le bétail ordinaire, par la fécondité des métis ; résultant de ces unions. Geoffroy, tout aussi bien que Lamarck et Darwin, aurait donc été obligé de supposer que, dans la séparation d’une espèce nouvelle se détachant d’une espèce ancienne, il y a quelque chose de plus et de différent de ce qui s’est passé chez le gnato.

Là pourtant n’est pas l’objection la plus forte à opposer aux hypothèses qui prennent pour base la transformation brusque. Je leur reprocherais bien davantage de négliger entièrement la plupart des grands faits généraux que présente l’empire organique. Il ne suffit pas d’expliquer par une hypothèse quelconque la multiplication des espèces et des types ; il faut surtout rendre compte de l’ordre qui règne dans cet ensemble, ordre que nous constatons sur la surface entière du globe, et qui a traversé sans être altéré l’immensité des âges paléontologiques, si bien qu’il se présente à nous comme indépendant de l’espace et du temps. Quand tout change, il reste immuable. Les faunes, les flores, ont beau s’anéantir et se substituer les unes aux autres, la nature des rapports qui relient les êtres contemporains ne change pas pour cela. Ces êtres se succèdent et viennent tour à tour remplir les cases du cadre de la nature organisée ; ce cadre reste le même. Nos découvertes ont beau se multiplier dans le monde actuel, dans les mondes passés, elles ne font que remplir quelques blancs, que combler quelques lacunes. L’accident sans règle, sans loi, invoqué comme cause prochaine de cette merveilleuse et permanente régularité, peut-il satisfaire l’esprit le moins sévère ? Je ne le pense pas. À ce point de vue, il faut bien le reconnaître, la conception de Lamarck, celle de Darwin surtout, présentent une incontestable supériorité.

L’objection précédente conserve toute sa force lorsqu’au lieu de chercher des analogies dans les seuls faits connus de Geoffroy et de ses contemporains on les demande aux phénomènes de la généagénèse. M. Gubler est, ce me semble, le premier qui ait eu la pensée de ce rapprochement ; mais il s’est borné à l’indiquer comme étant de nature à ajouter une hypothèse de plus à toutes celles qu’on a imaginées pour expliquer l’origine des espèces[1]. Un na-

  1. Préface d’une réforme des espèces fondée sur la variabilité restreinte des