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intermédiaires, partout disparaissent et s’effacent progressivement les distinctions actuelles. Je ne vois pas trop où s’arrêterait la confusion. Tout au moins des ordres entiers et bien probablement les classes elles-mêmes ne présenteraient, après quelques générations, qu’un ensemble de formes bâtardes, à caractères indécis, irrégulièrement alliées et entrelacées, où le désordre irait croissant grâce au mélange de plus en plus complet et à l’atavisme, qui bien longtemps sans doute lutterait avec l’hérédité directe. Ce n’est pas là un tableau de fantaisie ; tout éleveur à qui on demandera ce que produiraient les libres unions entre les cent cinquante races de pigeons reconnues par Darwin, entre les cent quatre-vingts races de chiens qui ont figuré à nos expositions, répondra, certainement comme moi. L’infécondité entre espèces a donc dans le monde organique un rôle à peu près analogue à celui que joue la pesanteur dans le monde sidéral. Elle maintient la distance zoologique entre les espèces, comme l’attraction maintient la distance physique entre les astres. Toutes deux ont leurs perturbations, leurs phénomènes inexpliqués. A-t-on pour cela mis en doute le grand fait qui fixe à leur place le dernier des satellites aussi bien que les soleils ? Non. Peut-on pour cela nier le fait qui assure la séparation des espèces les plus voisines comme celle des groupes les plus éloignés ? Pas davantage. En astronomie, on rejetterait d’emblée toute hypothèse en opposition avec le premier. Bien que la complication des phénomènes soit beaucoup plus grande en zoologie, l’étude sérieuse conduira toujours à repousser toute doctrine en désaccord avec le second. L’art humain pourra enfanter des résultats qui sembleront d’abord ne pas se plier aux règles de l’hybridation ; il l’a déjà fait une fois, il le fera sans doute encore. Il n’aura pour cela ni changé la loi naturelle et générale, ni démontré qu’elle n’existe pas ; de même qu’en dominant une force physico-chimique tantôt par d’autres forces, tantôt par ses propres lois, nous ne prouvons rien contre elle et ne la modifions point.

Ce n’est pas seulement à notre époque et aux temps relativement modernes que s’applique ce qui précède. Malgré ce qu’ont d’incomplet les renseignemens empruntés à la paléontologie, cette science est assez avancée pour qu’on puisse affirmer l’existence de l’espèce aux plus anciennes périodes zoologiques. Elle s’y montre avec tous les caractères morphologiques que nous constatons autour de nous, tantôt relativement fixe, tantôt plus ou moins variable, tantôt méritant l’épithète de polymorphe, mais pas plus que certains mollusques vivans ou que nos éponges. Quand le nombre des pièces réunies est suffisant, on constate parfois l’existence de variétés et de races groupées autour de la forme spécifique fondamentale, tout