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lité le dernier mot de la doctrine darwinienne, tel qu’il ressort de la déclaration formelle que je viens de citer.

Assurément l’auteur de la théorie n’acceptera pas la conséquence que je tire de ses paroles. Il ne pouvait d’ailleurs y attacher le sens réel qui ressort de notre étude. Grâce au peu de précision dans lequel il laisse ses propres conceptions dès le début de son travail, à la notion toute morphologique qu’il s’est vaguement faite de l’espèce, à l’obligation où il s’est placé de confondre l’espèce et la race, il assimile l’infécondité des croisemens hybrides à toute autre modification physiologique accidentellement développée dans une race domestique ou existant d’une espèce à l’autre dans le même genre, et ne lui accorde pas plus d’importance[1]. Cette conclusion est logique, elle ressort inévitablement non-seulement de la théorie de Darwin, mais aussi de celle de Lamarck, comme de toute doctrine admettant la formation des espèces par voie de dérivation lente. Or, s’il est permis de juger d’une hypothèse par ses conséquences, celle-ci me paraît de nature à éclairer le lecteur. En fait, si dans le monde organisé il existe quelque chose qui doive frapper même un observateur superficiel, c’est l’ordre et la constance que nous y voyons régner depuis des siècles ; c’est la distinction qui se maintient entre ces groupes d’êtres que Darwin et Lamarck appellent comme nous des espèces, alors même que, par les formes générales, les fonctions, les instincts, les mœurs, elles se ressemblent à ce point qu’on a quelquefois de la peine à les caractériser. Certes la cause qui maintient cet ordre, cette constance, à la surface entière du globe est d’une tout autre importance que n’importe quelle particularité en rapport seulement avec la vie individuelle ou l’existence toute locale d’une race domestique.

Or cette cause est simple et unique. Supprimez cette infécondité entre espèces, supposez que les mariages entre les espèces sauvages deviennent en tout sens et indéfiniment féconds, comme ils le sont dans nos colombiers, nos étables, nos chenils, entre les races domestiques ; à l’instant même, que va-t-il se passer ? Les barrières entre espèces, entre genres, sont enlevées ; des croisemens s’opèrent dans toutes les directions ; partout apparaissent des types

  1. « La stérilité des espèces croisées dépend de la différence partant sur le système sexuel, dit Darwin après avoir signalé quelques-unes de ces différences physiologiques. Pourquoi donc leur attribuer une importance plus grande qu’aux autres différences constitutionnelles, quelle que soit l’utilité indirecte qu’elles puissent avoir en contribuant à maintenir distincts les habitans d’une même localité ? » Variations des animaux et des plantes, ch. XIX, Conclusion. — Darwin semble oublier ici que la stérilité n’existe pas seulement entre habitans d’une même localité, et que cette considération est une de celles qui l’ont conduit à regarder la stérilité des hybridations comme due à d’autres causes qu’à la sélection.