Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fut bien accueilli du clergé comme des laïques. M. de Rossi ne se cache pas pour trouver Tillemont fort exagéré. Sa méthode et sa critique sont tout à fait différentes. Quand Tillemont rencontrait dans quelques parties des actes d’un martyr des anachronismes certains, des exagérations manifestes ou un air de fable et de légende, le récit entier lui devenait suspect, et il renonçait à s’en servir. M. de Rossi ne veut pas qu’on soit aussi radical. Il admet que les légendes, même les plus surprenantes au premier abord, reposent sur des faits vrais dont le souvenir s’est altéré en vieillissant. Il essaie donc de rendre raison des anachronismes qu’il rencontre et de dégager la part de vérité que peuvent contenir toutes ces fables. C’est un travail à peu près semblable à celui que certains historiens entreprennent sur les origines de Rome; il n’y en a pas qui soit plus délicat dans la critique, qui exige autant de finesse et d’érudition, et qui aboutisse moins facilement à l’évidence.

Je ne peux pas discuter en détail les résultats auxquels cette méthode a conduit M. de Rossi et la façon dont il se sert du Martyrologe. Cette discussion demanderait une étude trop minutieuse et des connaissances spéciales qui me sont étrangères. Je me contenterai de dire quelques mots de la raison qui l’a déterminé à donner tant de confiance à ces légendes. Avant lui, quand le récit d’un martyre avait trop l’air d’une fable, on rejetait d’abord l’authenticité du récit, et l’on allait quelquefois jusqu’à mettre en doute l’existence même du martyr. C’était évidemment une conclusion téméraire; M. de Rossi l’a bien prouvé en retrouvant aux catacombes, sur les pierres mêmes des tombeaux, les noms de plusieurs de ces saints contestés; mais à son tour il a été tenté de conclure de l’existence du saint, qui n’est pas douteuse, à l’authenticité du récit qui raconte ses derniers momens. Cette conséquence ne me semble pas plus rigoureuse que l’autre, et je crois qu’on peut expliquer d’une autre façon comment on rencontre aux catacombes les noms des héros du Martyrologe.

Nous savons que les archives de l’église de Rome furent détruites par Dioclétien. Comme la persécution fut alors aussi habile que cruelle, et que, si l’on en croit M. de Rossi, l’organisation et les usages de l’église étaient depuis un siècle parfaitement connus de l’autorité, il est probable qu’aucun papier important n’échappa. Ainsi périrent, on peut l’affirmer, les actes de toutes les persécutions qui avaient précédé la dernière. Je remarque en effet que Sulpice Sévère dit en parlant de celle-ci : « Nous pouvons lire encore aujourd’hui les passions des martyrs de cette époque; » il ne le dit pas des autres. Sans doute il put se conserver des traditions orales