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sentant avec les espèces voisines et en particulier avec les espèces souches les phénomènes de l’hybridation, on aura sans doute montré que l’art humain peut franchir la barrière qui sépare la race de l’espèce. Il resterait encore à démontrer que la nature peut en faire autant. Il resterait à prouver par des faits que la résultante des forces naturelles abandonnées entièrement à elles-mêmes peut dans certains cas produire un effet semblable à celui que réalise cette même résultante modifiée par l’homme. Ce fait est bien peu probable, on en conviendra. Fût-il acquis à la science, l’exactitude des vues de Darwin serait-elle pour cela démontrée ? Non. On aurait seulement justifié dans une certaine mesure les idées professées par Linné dans les derniers temps de sa vie, alors qu’il regardait toutes les plantes d’un même genre comme descendant d’une souche commune par voie d’hybridation.

L’hybridation n’intervient point dans la formation première des espèces telle que la présentent les doctrines transformistes. Pour qui admet en particulier la dérivation graduelle et lente, pour Lamarck comme pour Darwin, toute espèce nouvelle commence par une variété, qui transmet à ses descendans ses caractères exceptionnels, et constitue d’abord une race, distinguée seulement par certains caractères, mais destinée à s’isoler plus tard physiologiquement. C’est ce dernier résultat dont il faut prouver la réalité : il s’agit de faire voir, non pas que les espèces peuvent se croiser et donner naissance à une lignée à la fois distincte et féconde, mais bien qu’il arrive un moment où deux races, jusque-là fécondes entre elles, perdent la faculté de se croiser. Eh bien ! nous savons par Darwin lui-même à quoi nous en tenir sur ce point. De toutes ses recherches, si longues et si sérieuses, il a conclu qu’on ne connaît pas un seul cas de croisement infécond entre races animales, et qu’entre races végétales tout ce qu’il a été possible d’apercevoir, c’est une certaine inégalité de fécondité. Voilà les faits. Certes, quand ils sont attestés par l’auteur même d’une théorie dont ils sapent la base, on peut, on doit les regarder comme absolument inattaquables.

Lamarck semble ne pas avoir même pensé qu’il y eût là rien qui pût ébranler ses doctrines. Darwin au contraire a bien compris tout ce que cette objection avait de grave, et s’est efforcé de concilier avec sa théorie les faits que sa loyauté habituelle lui faisait reconnaître tout le premier. Pour expliquer la fécondité continue des races domestiques, il s’étaie de l’opinion de Pallas, qui regardait la domestication comme tendant à accroître la fécondité et par cela même à faire disparaître la stérilité des unions hybrides. La même cause, dit Darwin, a dû entretenir la possibilité des croisemens