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Il suffit de se rappeler le petit nombre d’hybrides naturels rencontrés chez les végétaux eux-mêmes, l’absence absolue de ces mêmes hybrides chez des représentans des plus élevés du règne animal. Eh bien ! dès que l’homme est entré dans cette voie de recherches, il a multiplié les hybrides ; il en a obtenu parfois même sans le vouloir, comme il produit des races sans chercher à le faire. Bien plus, il est parvenu, une seule fois il est vrai, à maintenir pendant plus de vingt générations une lignée provenant de deux espèces distinctes et qui a échappé jusqu’à présent à la variation désordonnée comme aux phénomènes du retour. Néanmoins l’ægilops speltœformis rentre dans la catégorie de ces races dont on doit à la volonté humaine et la formation et la durée tout artificielle. Les expériences de M. Godron montrent jusqu’à l’évidence qu’abandonnée à l’action des forces naturelles elle disparaîtrait, et probablement dès la première génération.

La seule exception connue jusqu’à ce jour confirme donc elle-même de la façon la plus formelle la loi générale qui ressort de tous les phénomènes résumés dans l’article précédent. Or cette loi est incompatible avec toute doctrine qui, comme celles de Lamarck, de Darwin, de M. Naudin, tend à confondre l’espèce et la race. Huxley ne s’y est pas trompé. Quelque partisan qu’il soit des idées générales de son savant et ingénieux compatriote, il a fort bien compris que là est le côté faible d’une théorie qu’il défend, comme il a soin de le dire, non pas en avocat, mais en homme de science qui cherche avant tout la vérité. Dans ses appréciations générales, il fait, à mon avis, la part trop large aux caractères de morphologie anatomique lorsqu’il n’y trouve aucune raison à opposer à Darwin ; mais il met en regard les caractères physiologiques, surtout ceux du croisement, et en apprécie la portée à bien peu près comme moi-même. Aussi, tout en rappelant les côtés séduisans de la théorie darwinienne, tout en insistant sur les horizons nouveaux qu’elle ouvre à la science, sur les progrès que, selon lui, elle ne peut manquer de provoquer, l’éminent naturaliste conclut-il en disant : « J’adopte la théorie de M. Darwin, sous la réserve que l’on fournira la preuve que des espèces physiologiques peuvent être produites par le croisement sélectif. »

Cette réserve est certainement des plus graves. En la faisant, Huxley savait bien que pas un seul fait ne répond à son desideratum. Pourtant elle n’atteint pas le fond même de la doctrine, et il en est de plus sérieuses. Si l’on obtient jamais par le croisement de deux espèces primitivement bien distinctes une lignée intermédiaire par ses caractères, ne variant que dans les limites habituelles, se multipliant et subsistant sans l’intervention de l’homme, pré-