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exerce sur eux. La belle expérience de M. Decaisne sur les plantains d’Europe, les observations de M. Gubler sur quelques plantes naines, suffisent pour mettre dans tout son jour ce fait général. M. Gubler a montré qu’en s’élevant sur la pente des montagnes certaines plantes ne subissaient pas seulement une réduction de taille considérable, mais que de plus les principaux organes et jusqu’aux parties essentielles de la fleur étaient atteints. M. Decaines a fait plus ; il a reproduit par un simple changement dans les conditions d’existence plusieurs formes d’une même plante existant dans la nature et qu’on avait prises pour autant d’espèces proprement dites. Il a récolté en rase campagne les graines d’un plantain appartenant à une des espèces les plus généralement admises ; il les a semées et élevées au Muséum en imitant autant que possible les conditions particulières aux terrains où poussent les formes les plus distinctes de ce genre. Par cela seul, il a obtenu sept de ces formes prétendues spécifiques. Or il s’agissait ici de différences sérieuses et bien faites pour excuser les botanistes qui, jugeant par les caractères morphologiques seuls, avaient vu là des espèces diverses. De l’une à l’autre de ces plantes, petites-filles de la même mère, on rencontrait des feuilles rondes et courtes ou assez longues pour servir de fourrage, disposées en rosette écrasée ou allongées en une touffe droite et fournie ; la plante était entièrement glabre ou couverte de poils ; la racine, annuelle chez les unes, était vivace chez les autres. Tous ces traits étaient héréditaires, et reproduisaient ceux des races naturelles vivant dans des conditions semblables à celles qu’avait artificiellement reproduites l’habile expérimentateur. Évidemment ils étaient dus à ces conditions mêmes.

La sélection joue certainement un rôle considérable dans les expériences inverses, pour ainsi dire, et quand il s’agit d’obtenir des races s’écartant parfois d’une manière étrange des formes naturelles. Cependant il faut le plus souvent lui venir en aide et transformer d’abord les conditions d’existence. Lorsque Vilmorin voulut mettre hors de doute l’origine de nos carottes cultivées en les tirant directement de la carotte sauvage, il ne lui suffit pas de choisir avec soin ses porte-graines, ni même de multiplier les soins d’élevage ; il dut surtout le succès de sa tentative à la pensée qui lui fit garder pendant l’hiver quelques individus tardifs qu’il repiqua au printemps. Il obligea ainsi une plante annuelle à dépenser sa vie en deux ans. C’est ainsi qu’il transforma une racine extrêmement grêle, dure et coriace, en ce légume savoureux et tendre que nous connaissons tous. Quatre générations suffirent pour produire ce changement. Par des procédés semblables, M. Carrière