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faisant aux riches un devoir rigoureux de la charité. Les païens possédaient aussi des sociétés charitables qui avaient des caisses de secours et faisaient des distributions aux associés infirmes et malades; mais ce qui surprit, ce qui charma surtout les pauvres et les ignorans, ce qui les attira d’abord à cette doctrine, c’est le soin qu’elle prenait de leur intelligence et de leur âme. Rien de pareil ne s’était encore vu, au moins à Rome et dans l’Occident. Les religions anciennes ne donnaient, à vrai dire, aucun enseignement à personne. La philosophie faisait généralement profession de ne s’adresser qu’à quelques esprits d’élite[1]. Le christianisme déclare au contraire que tout le monde a droit à connaître la vérité, et il la livre libéralement à tous. La science qu’il annonce n’est pas un privilège; elle n’a pas d’élus ni de préférés. Minucius Félix nous dit que rien ne surprenait et même ne mécontentait davantage les païens bien élevés que de voir, dans la société chrétienne, les illettrés, les pauvres, les ignorans, discuter des choses divines. « Ils étaient indignés et attristés que des gens grossiers, étrangers à toute littérature et aux arts même les moins relevés, se permissent de trancher les questions les plus difficiles et de décider de tous les secrets de la nature, sur lesquels, après tant de siècles de recherches, la philosophie n’était pas encore fixée. » C’est ainsi que les simples et les petits, « qui avaient soif de justice et de vérité, » et que personne ne songeait à désaltérer, vinrent naturellement au christianisme, qui se donnait la peine de les instruire. En s’occupant d’eux, il ne faudrait pas croire toutefois qu’il négligeât les puissans du siècle. Dès le premier jour, il essaie aussi de les gagner. Saint Paul, tout en reconnaissant qu’il y a parmi les fidèles peu de riches et peu de nobles, et « que Dieu a choisi les plus vils et les plus méprisables selon le monde pour détruire ce qu’il y avait de plus grand, » nous raconte avec un certain orgueil « que ses liens sont devenus célèbres dans toute la cour de l’empereur, » et à la fin de sa lettre aux Philippiens il salue les frères « qui sont dans la maison du césar. » Ainsi, quelques années après la mort du Christ, il y avait déjà des chrétiens à la cour de Claude ou de Néron. C’étaient sans doute des affranchis qui, affiliés depuis longtemps au judaïsme, avaient entendu parler dans les synagogues des miracles et de l’enseignement de Jésus. Quelques années plus tard, ce n’étaient plus

  1. C’est le caractère de l’enseignement philosophique en général. Il faut pourtant remarquer que depuis Auguste certaines sectes cherchent davantage à attirer le peuple et prêchent pour lui. Cette tendance devient plus visible à mesure qu’on avance. Sous Marc-Aurèle et sous les Sévères, il y avait de véritables prédicateurs populaires qui s’étaient fait volontairement pauvres pour avoir de l’action sur les pauvres, et qu’on pourrait comparer à nos moines mendians; mais je ne veux parler ici que du Ier siècle.