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IV

Depuis quelque temps déjà, la pensée de l’empereur s’était peu à peu distraite des affaires de l’église de France pour se porter tout entière sur les préparatifs de sa prochaine expédition de Russie. Le moment était en effet arrivé où allait se vérifier la curieuse prophétie faite par Cambacérès au préfet de police de l’empire, M. Pasquier, lorsqu’il lui avait annoncé que le mariage de Napoléon avec une fille de l’empereur François le conduirait promptement à la guerre contre le tsar Alexandre. Le 15 août 1811, jour de la Saint-Napoléon, c’est-à-dire à l’époque même où il était en train de rédiger pour les évêques envoyés à Savone les instructions que nous avons citées tout à l’heure, l’empereur n’avait pas hésité à faire en pleine cour des Tuileries au ministre de Russie, le prince Kourakin, cette scène singulière dont M. Thiers nous a si bien raconté jusqu’aux moindres détails. De tels éclats, quand l’empereur s’y laissait aller, signifiaient presque toujours que son parti était pris de rompre avec la puissance contre laquelle il se les permettait. Ce fut le cas cette fois. Au fond de son âme, il avait déjà, au milieu de l’été de 1811, résolu la guerre contre la Russie ; il lui convenait seulement de la retarder jusqu’au printemps prochain. Qu’on veuille bien ne pas l’oublier ! la guerre, la guerre poussée à toute extrémité, la guerre avec ses promesses de gloire et ses espérances de domination, c’était l’élément pour ainsi dire naturel où se mouvaient dans leur complète aisance les incomparables facultés de ce joueur effréné dont le génie se complaisait à dénouer toutes les questions, quelles qu’elles fussent, sur les champs de bataille, parce que sur ce terrain il se tenait pour assuré que jamais la fortune n’oserait se montrer infidèle. Quand ce vaste horizon de combats à livrer, de victoires à remporter, de paix triomphantes à dicter à l’ennemi, s’offrait à l’imagination du conquérant insatiable, et sollicitait ses regards vers les décevantes perspectives d’un avenir aussi prodigieux qu’indéfini, tout le reste était aussitôt oublié, ou du moins dédaigneusement rejeté à l’arrière-plan. L’illustre historien du consulat et de l’empire nous a, comme à son ordinaire, excellemment rendu la disposition d’esprit de Napoléon à cette époque de sa vie, lorsqu’il dit : « Toutes les questions matérielles, morales, politiques, militaires, se résumaient alors pour lui dans une seule, celle de la grande guerre du nord. Vainqueur une dernière fois de la Russie, qui semblait seule, sinon à lui tenir tête, du moins à contester quelques-unes de ses volontés, il abattrait en elle tous les genres d’opposition, publics ou cachés, qu’il rencontrait encore en Europe. Que serait alors ce pauvre prêtre prisonnier qui voulait lui disputer