Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces instructions données aux évêques, M. Bigot avait eu ordre, comme nous l’avons déjà indiqué, de les communiquer intégralement aux cardinaux, afin qu’ils ne fussent point admis à prétendre un jour qu’ils n’avaient pas connu dans toute leur étendue la nature des sacrifices qu’ils s’étaient engagés à conseiller au saint-père. Les choses ainsi combinées, cardinaux et évêques partirent à peu près en même temps pour Savone, mais par des voies différentes, afin sans doute de ne pas laisser soupçonner à Pie VII l’accord secret qu’on avait d’avance pris soin d’organiser entre eux et contre lui. Avant de raconter les phases diverses d’une négociation entamée sous ces singuliers auspices, il faut nous reporter aux dépêches de M. de Chabrol pour faire connaître dans quel état de santé et d’esprit se trouvait alors le malheureux captif, que l’empereur et ses associés se flattaient d’enserrer dans les étroits réseaux d’une trame si habilement ourdie.


II

Depuis le 20 mai 1811, c’est-à-dire depuis le jour où les prélats français qu’il allait bientôt revoir avaient quitté Savone, emportant avec eux cette ébauche de traité qui lui avait fait passer tant de nuits sans sommeil et causé un si grand trouble d’esprit, Pie VII était soudainement rentré dans une complète solitude. Si, comme nous nous plaisons à le croire, quoique rien n’en fasse foi, on lui avait rendu ses livres ordinaires de piété, du papier, des plumes, son encrier et son Office de la Vierge, on n’avait encore autorisé aucun de ses anciens serviteurs à retourner près de lui. Le commandant Lagorse avait toujours pour instructions de faire bonne garde autour de sa demeure. Tout le personnel italien qui l’avait suivi après sa sortie de Rome restait dispersé soit dans la prison d’état de Fénestrelle, soit dans d’autres forteresses impériales. Napoléon ne lui avait laissé, et pour cause, que le docteur Porta, dont les visites journalières profitaient encore plus à l’habile préfet de Montenotte qu’au souverain pontife lui-même. Exactement informé de l’état de santé et des dispositions d’esprit de Pie VII, M. de Chabrol venait seul rompre de temps en temps la monotonie d’une si triste existence en apportant à son prisonnier les nouvelles de Paris qu’il jugeait à propos de lui donner. Son application principale consistait à commenter alors en style de fonctionnaire public les augustes paroles tombées des lèvres du chef de l’empire. « J’ai présenté mes devoirs ce matin au pape, écrit-il à M. Bigot de Préameneu à la date du 15 juillet 1811. Il m’a d’abord entretenu de la cessation des convulsions qui l’avaient affecté précédemment. La