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peuple, Hussein-Pacha professait une haute admiration pour le prince des Serbes. A Varna, au moment de prendre la mer, le prince assista au service de l’église grecque ; l’évêque, entouré de son clergé et au milieu d’une foule immense de raïas, le reçut au seuil avec le livre des évangiles ouvert et les images sacrées, qu’il baisa respectueusement ; ensuite on l’introduisit dans le sanctuaire en chantant les cantiques consacrés pour la réception des souverains.

Arrivé à Constantinople, il fut traité magnifiquement. Un des pachas qui l’avaient si bien fêté à son passage avait mis à sa disposition une somptueuse maison de campagne sur les rives du Bosphore. C’est là qu’il descendit. Tous les gens du pacha étaient sur pied ; la Porte leur avait adjoint deux banquiers armemens qui devaient lui servir d’intendans pendant toute la durée de son séjour à Constantinople. Le grand-vizir, les plus hauts dignitaires de l’empire s’empressèrent de lui faire souhaiter la bienvenue, et sa première audience du sultan fut fixée au 16 août. C’était dans le palais d’été. Mahmoud, assis sur son divan, portait le manteau impérial, le grand-cordon du nicham et le fez de cérémonie. Après les révérences prescrites, Milosch, debout entre le gendre du sultan, Halil-Pacha, et le séraskier-pacha, prononça le discours suivant en langue serbe, qui fut traduit en grec par Abraham Petronievitch, puis du grec en turc par Bogosidi, prince de Samos, le drogman de la Porte :


« Très puissant monarque ! les décrets du Très Haut me réservaient le bonheur inespéré de paraître en votre auguste présence comme représentant de ma nation. Mon cœur déborde de joie, puisqu’il m’est permis de pouvoir exprimer à votre majesté, mon auguste empereur, les sentimens de reconnaissance dont nous sommes pénétrés, mon peuple et moi, pour vos bienfaits. L’esprit de sagesse et de justice dont le Tout-Puissant vous a comblé a su mettre un terme aux querelles, aux dissentions qui affligeaient vos peuples, et fonder des institutions qui font l’admiration de tous les monarques et de tous les peuples du monde civilisé. Votre nom vivra dans l’histoire, glorieux comme celui d’un roi réformateur. Chef de la nation serbe, honoré de la haute confiance et des faveurs de votre majesté, je suis venu pour vous prier de recevoir l’expression de notre reconnaissance filiale. »


Le sultan répondit avec une dignité affectueuse :


« Sois le bienvenu, ô prince Milosch ! Je reçois avec plaisir de ta bouche l’expression des sentimens des Serbes. Tant que vous ne vous écarterez pas de vos devoirs, j’aurai toujours pour vous les égards paternels qu’un souverain doit à ses vassaux, aux sujets que la Providence lui a confiés ; vous aurez toujours part à ma sollicitude impériale. »