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au représentant d’une puissance protectrice du peuple serbe. Le baron dédaigna ces marques de déférence, et immédiatement fit subir aux conseillers de Milosch un interrogatoire hautain. Ce fut un des secrétaires de Milosch, nommé Zizanovitch, qui soutint le premier feu. M. de Buchmann avait demandé des explications minutieuses sur les événemens de janvier, sur la promulgation du statut, et Zizanovitch avait répondu à tout avec autant de convenance que de précision ; le Russe alors prit la parole et formula contre les Serbes une mercuriale de la dernière insolence. Comment osaient-ils se croire une nation indépendante ? Ils n’étaient que les raïas de la Porte, qui, sur l’intercession de la Russie, leur avait accordé quelques franchises. Avant de prétendre se constituer en peuple libre, ne devaient-ils pas consulter la Russie, sans laquelle ils n’étaient rien et ne pouvaient rien être ? Comment surtout avaient-ils eu l’audace de proclamer ces principes révolutionnaires « que l’Autriche et la Russie avaient toujours combattus, et qu’aucune nation de premier ordre n’aurait osé adopter sans leur consentement ? » Il contesta ensuite à Milosch le titre de prince des Serbes, il attaqua l’article qui, conformément au hatti-chérif de 1830, fixait la succession à la principauté serbe dans la famille des Obrenovitch. Milosch n’était, selon lui, qu’un lieutenant de Mahmoud, chargé de gouverner le pays serbe au nom de Mahmoud, tant qu’il resterait fidèle à ses devoirs ; sa famille ne pouvait prétendre aux droits dont jouissent les familles souveraines des états indépendans. Pourquoi donc cette couronne qui surmontait la bannière serbe ? pourquoi ce ministère de la guerre, ce ministère des affaires étrangères, institués par la constitution ? Contre quelle puissance la Serbie voulait-elle entrer en campagne ? Quels traités voulait-elle conclure ? Est-ce qu’elle prétendait combattre pour la liberté du monde avec, cette France dont elle adoptait les principes ? — Il était évident que l’envoyé russe voulait du premier coup terrifier les Serbes par la véhémence de son langage ; puis, passant de l’insulte à l’ironie : « Quel jour, dit-il, pourrai-je être présenté à leurs excellences les ministres ? »

Zizanovitch était un homme sensé ; il répondit froidement, posément ; aucune de ces critiques ne l’embarrassa, aucun de ces sarcasmes ne lui fit perdre la vraie mesure des choses. En justifiant Milosch, il protesta toujours de la reconnaissance des Serbes pour la Russie. Cette modération fut prise pour de l’effroi, et le diplomate russe en conclut qu’il pouvait continuer sur ce ton. Il continua en effet avec les ministres, avec Davidovitch, avec Milosch lui-même. Il avait traité Davidovitch comme un factieux, comme un agent de la révolution européenne en Serbie, en le menaçant des colères du tsar ; il traita Milosch comme un misérable chef de raïas qui se méprend sur son rôle et qu’il faut rappeler à l’ordre. Sa