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cautions pour dérober la connaissance et l’accès des tombeaux aux infidèles. On mure les anciens escaliers qui s’ouvraient sur des voies publiques; on dirige les galeries vers des carrières abandonnées, au milieu de la campagne déserte. Les chrétiens pouvaient s’y rendre sans être vus. Ils y trouvaient des ouvertures étroites et cachées qui les conduisaient, à travers un dédale de routes, jusqu’à la sépulture de leurs proches. A côté de ces souvenirs des persécutions, on en retrouve d’autres qui rappellent des temps plus calmes. Cette société si maltraitée, mais si vivace, se reprenait vite à espérer, dès que les mauvais jours étaient passés. Le sentiment de sa force, la certitude de son triomphe, cette surabondance de vie qui s’accroissait avec les supplices, lui faisaient, au moindre répit, oublier le passé et mieux attendre de l’avenir. Elle reconstruisait les tombeaux qui avaient souffert, elle poursuivait dans tous les sens ses fouilles audacieuses, elle ornait ses cryptes les plus respectées de peintures et de marbres précieux. Jamais ces grands travaux n’avaient été accomplis avec plus de sécurité et d’imprudence qu’à la veille de la persécution de Dioclétien. Il semblait vraiment que l’église n’avait plus de dangers à craindre. Les anciens escaliers furent rétablis, on creusa des ouvertures pour donner du jour aux galeries; on éleva des chapelles dans la plaine, au-dessus des principaux cimetières, pour indiquer aux fidèles l’endroit où les martyrs étaient ensevelis. Cette confiance fut chèrement payée quand la persécution éclata. Tous les édifices qu’on put saisir furent confisqués ou détruits. Les cimetières, qu’on avait trop ouvertement réparés, ne pouvaient pas échapper aux agens de l’empereur; pour leur arracher au moins celui de Calliste, auquel ils tenaient le plus, les chrétiens entreprirent un ouvrage gigantesque. On se donna plus de peine pour le sauver qu’on n’en avait pris pour le construire. En quelques mois, les galeries furent remplies de terre jusqu’au comble; ce moyen hardi les préserva de la dévastation. Les soldats reculèrent devant le temps qu’il aurait fallu perdre pour arriver aux tombes des martyrs.

Les derniers souvenirs, mais non les moins curieux, que conserve le cimetière de Calliste sont ceux de la paix et du triomphe définitif de l’église. On cessa peu à peu d’ensevelir aux catacombes après Constantin : elles ne furent plus qu’un monument du passé qu’on entoura de vénération. Le poète Prudence, qui les a vues sous Théodose, nous a décrit en beaux vers l’état où elles étaient alors. Il dépeint les vastes escaliers qui donnaient accès aux visiteurs et les ouvertures pratiquées dans la voûte pour éclairer les cryptes les plus importantes; il montre l’obscurité des galeries interrompue de temps en temps par ces sortes d’îlots de lumière et ces alternatives d’ombre et de jour qui donnaient à l’âme une terreur religieuse.