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volonté au maître. Si Milosch résistait, on ferait appel aux armes. Chacun des conjurés promettait de soulever son district.

Les fêtes terminées, la princesse reprit la route de Kragoujevatz sans se douter le moins du monde qu’une conspiration si redoutable venait de se tramer sous ses yeux au milieu des toasts et des acclamations. Deux hommes de sa suite, Anastase Buluk-Bachi, le chef des momkes, et Pékéta, courrier du prince, avaient eu occasion de deviner ce qu’elle ne soupçonnait même pas. Bien des choses leur avaient paru suspectes. Comme ils se communiquaient leurs réflexions à voix basse tout en chevauchant à une certaine distance de la princesse, le capitaine Miloutine, un des conjurés, qui faisait partie de l’escorte, trouva dans leur attitude quelque chose d’inquiétant. Plusieurs fois il s’était approché d’eux, et la conversation s’était subitement arrêtée. Il se crut découvert, dénoncé, perdu. Alors, brusquant les choses : « Pourquoi tant de mystère ? leur dit-il. Je sais de quoi vous parlez, et si je me suis mêlé à la conspiration, c’est pour la révéler au prince. » On pense bien qu’Anastase et Pékéta profitèrent de l’émotion du capitaine pour lui faire dire ce qu’ils ignoraient. Ils feignirent de tout savoir, et bientôt en réalité ils surent tout. Arrivés auprès du prince, ils lui dirent aussitôt et la conspiration et la façon dont ils l’avaient apprise. Miloutine renouvela ses aveux, ajoutant des détails plus circonstanciés, assurant même que George Protitch et Stoïan Simitch étaient résolus à l’assassiner. Le pauvre diable comprit cependant qu’il commettait une infamie ; après avoir trahi ses complices, il voulut leur procurer le moyen de se sauver. Rentré chez lui, il écrivit à Simitch que Milosch avait tout découvert.

Cette nouvelle devait précipiter les événemens. Au lieu d’attendre la skouplchina prochaine, les conjurés s’occupèrent immédiatement de soulever les districts sur lesquels ils comptaient. Tandis que Milojav, Miléta et Stoïan Simitch rassemblaient leurs fidèles, les membres du tribunal suprême qui faisaient partie de la conspiration, surtout George Protitch et Maïstorevitch, enjoignaient aux chefs de milices, par ordre du prince, disaient-ils, de diriger au plus vite tous les hommes disponibles sur Kragoujevatz, l’armée serbe devant s’y concentrer pour repousser une invasion turque. La plupart des hommes qui marchaient sur Kragoujevatz ignoraient donc ce qu’ils allaient y faire. Le 6 janvier 1835, Simitch, Miléta et Abraham Petronievitch, arrivant de divers points de la Serbie, opérèrent leur jonction aux environs de Kragoujevatz à la tête de quelques milliers d’hommes. Là, en face des troupes, le premier ministre de Milosch, Abraham Petronievitch, prononça un réquisitoire de la dernière violence contre le prince son maître. Il accusait à la fois son rôle public et sa vie privée. « Cette délivrance de la Serbie,