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tien qu’outre le noble sentiment du devoir et les aspirations de la gloire des armes, deux idées surtout soutiennent le moral des hommes au milieu des plus cruelles épreuves, la certitude du succès et l’espoir du retour.

Il restait encore, pour que le triomphe fût complet, à recueillir sains et saufs les prisonniers et à s’emparer du roi Théodoros mort ou vivant. La crainte qu’il pût s’enfuir de Magdala et échapper ainsi à la vengeance de l’Angleterre n’avait pas cessé de préoccuper le commandant en chef. Aussi des dispositions furent prises sur-le-champ pour investir Magdala. Guidé par la même pensée, sir Robert Napier avait, quelques jours auparavant, entamé des négociations avec la reine des Wollo-Gallas, tribu guerrière qui habite les confins sud-est de l’Abyssinie. Il voulait obtenir que les Gallas s’opposassent aux mouvemens de Théodoros, s’il cherchait à s’échapper par leur territoire ; la mission eut un plein succès, et, peu de jours après la prise de Magdala, la reine des Gallas reçut au camp l’hospitalité du général en chef de l’armée anglaise.

D’autres sentimens agitaient en ce moment l’esprit du négus. Convaincu qu’il lui serait possible encore de faire sa paix avec l’Angleterre au moyen de quelques concessions spontanément et gracieusement offertes, il dépêcha, dès le matin du 11 avril, des parlementaires à sir Robert Napier. Le lieutenant Prideaux et un missionnaire, M. Flad, deux des captifs européens, arrivèrent au camp anglais chargés de cette mission. Les hourras les plus sympathiques saluèrent leur présence au milieu de leurs compatriotes ; chacun était curieux de les voir, de les entendre, d’apprendre de leur bouche que les infortunés dont la délivrance aurait coûté tant de fatigues étaient encore tous vivans, prêts à jouir de la liberté qu’on leur apportait. Les envoyés de Théodoros eurent avec le général en chef une longue entrevue. Le roi offrait de rendre immédiatement tous les prisonniers ; le combat de la veille l’avait convaincu de la supériorité des armes européennes ; il y avait perdu l’élite de son armée ; il sentait que la résistance était impossible et exprimait le désir de conclure avec l’Angleterre un traité d’amitié. Il priait donc le commandant en chef de lui faire connaître sur quelles bases il voudrait entamer les négociations. À ces ouvertures, sir Robert Napier répondit par la plus inflexible détermination ; la pensée qu’il pouvait compromettre le salut des captifs n’ébranla pas la résolution formée depuis longtemps dans son esprit d’obtenir une vengeance et une réparation éclatantes. La patience de l’Angleterre avait été lassée, et le pays ne pouvait avoir sacrifié tant de millions pour arrêter son armée victorieuse, après une campagne si pénible, devant un traité illusoire. La réponse du général en chef fut que le roi Théodoros devait ouvrir à l’armée anglaise les portes