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la prairie verte, l’œil se fatigue à la longue de cette couleur. Je crois que les Nord-Hollandais eux-mêmes ont ressenti cette fatigue, et c’est ainsi que je me plais à expliquer une de leurs bizarreries dont les voyageurs ont beaucoup ri, et qui me semble trahir au contraire un génie inné de coloriste. Je veux parler de ces arbres peints de diverses couleurs, surtout en bleu de ciel, que l’on rencontre dans le Nord-Hollande autour des grandes fermes. Est-ce le résultat d’une manie à la manière chinoise, comme on l’a dit? Eh non! c’est le résultat inconscient d’un besoin ressenti par l’œil. L’œil fatigué du vert cherche une autre couleur, et n’en trouve pas; il y a bien la robe grise des troncs d’arbres, mais c’est une teinte trop effacée; il en faudrait une plus tranchée et qui pût faire contraste avec la couleur triomphante. De là l’idée de peindre les troncs d’arbres en bleu. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette bizarrerie n’a absolument rien qui choque en face de l’éternel polder, et qu’elle m’a paru pour ma part une innovation des plus sympathiques.

Ce Nord-Hollande est vraiment l’idylle de l’Europe, tant pour l’aspect général du paysage que pour les sentimens moraux qu’il éveille. Oh ! que voilà un pays qui parle peu de grandeur et de gloire ! Ce n’est pas là que le laboureur, du soc de sa charrue, fera jaillir les ossemens des guerriers, et, s’étonnant devant ce spectacle, fournira le sujet d’un paysage historique aux Poussins du présent et de l’avenir. Oh non! ce paysage ne parle pas de vie héroïque; mais il parle, ce qui vaut tout autant, de vie patriarcale, d’affections simples, de bonheur silencieux, de patience et de douceur. Là peuvent vivre des familles selon la Bible et le Vicaire de Wakefield, des paysans selon les chants de Robert Burns. Y a-t-il des méchans et voit-on des assassinats dans le Nord-Hollande? Je me suis surpris à en douter, d’abord parce que je ne sais pas où pourraient s’embusquer les meurtriers en ce pays ouvert de toute part devant le ciel, ensuite parce qu’il me semble difficile que cette nature sans violence et pleine d’apaisement puisse inspirer à l’âme des sentimens noirs ou passionnés. Dans un tel pays, l’âme tournerait plutôt aux manies innocentes, et c’est par l’influence de la nature ambiante qu’il faut, avons-nous dit, expliquer très probablement les bizarreries des habitans. Ce paysage parle de vie patriarcale, il parle aussi de vie philosophique, d’austérité, de pensées graves; là peuvent vivre dans le voisinage d’âmes simples les solitaires selon Spinoza, les hommes qui dans les profondeurs de la méditation ont su trouver la paix, et le bonheur dans le renoncement. Ce paysage en effet a deux faces : d’une suave douceur pendant le jour, dès qu’il est touché par les ombres du soir, il devient d’une mélancolie profonde, mais cette mélancolie n’a rien d’affaiblissant pour l’âme : la tristesse du paysage hollandais n’a