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ce tableau d’Holbein, comme des œuvres analogues d’Albert Dürer, émane un sentiment d’arianisme qui s’impose de lui-même au contemplateur. L’esprit de la composition reste très chrétien; mais la scène qu’elle nous présente est purement humaine, et l’on se sent amené à établir instinctivement la séparation entre les deux natures que les théologiens unissent en Jésus. Ce Jésus est laid, non d’une laideur morale comme chez Rembrandt, mais comme le plus vulgaire des produits de la création, laid d’une laideur abjecte, sans flamme qui trahisse l’âme, sans rayon qui révèle le prophète, sans aucune de ces expressions de piété, de douceur et de confiance où la divinité de la nature pourrait se révéler. Toute lumière est éteinte chez ce Christ, et vraiment ses bourreaux sont presque excusables, car il est impossible de deviner un dieu sous une pareille enveloppe. Ce Christ, c’est la boue humaine dans toute sa visqueuse humidité, un vase de la plus vile terre que le potier n’a pas approché du feu purificateur. J’imagine que les pauvres sorciers de village, quand on les mettait à la torture ou qu’on les brûlait, durent présenter mainte fois un spectacle analogue à celui de ce Christ d’Holbein. Oh ! non certes, se dit-on presque involontairement, il n’était pas dieu au moment où il subit de semblables souffrances. Il avait fait abdication complète de sa nature divine, pour ne la reprendre que dans le ciel. Il n’exposait aux supplices que l’homme, il ne rendit au créateur que le dieu. Les deux natures furent successives, non simultanées, et séparées sur la terre comme dans l’éternité.

Cette grande composition trop vantée n’offre même pas toujours la correction et la pureté de dessin qui distinguent Holbein. Elle est bien loin de valoir un autre tableau sur bois représentant le Christ mort étendu dans le tombeau. C’est ce que nous avons vu de plus cruellement douloureux après le Christ à la paille de Rubens. Dans cette œuvre, excellente comme peinture, se trouve cette fois complètement rendu le sentiment que nous venons de décrire, et que la Passion de Notre-Seigneur exprime d’une manière imparfaite, gauche et sans nulle poésie. Nous venons de nommer Rubens, et en effet ce tableau d’Holbein appelle à première vue la comparaison avec les divins cadavres sortis du pinceau du maître d’Anvers. Chez Rubens comme chez Holbein, le Christ est un Christ populaire, mais quelle différence ! Chez le maître d’Anvers, ce pauvre cadavre d’homme du peuple reste le Christ selon toutes les traditions de l’orthodoxie; chez Holbein, cette dépouille humaine est entièrement hétérodoxe. Regardez à Anvers non-seulement le Christ à la paille, mais encore et surtout le Jésus de la Descente de croix. Un des caractères les plus admirés généralement de ce Christ, c’est sa réalité funèbre. Il est bien mort, dit-on, on le voit à l’inertie avec la-