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chose suffisait pour cela, choisir pour Ammerbach une pose qui dissimulât sa grimace, permettre à sa femme de se parer de sa robe des grands jours et de son bonnet neuf, choisir des couleurs de vêtemens qui fissent moins ressortir la blancheur malsaine de la bourgeoise du musée de La Haye. Un Italien n’y eût pas manqué; dans son insouciance de la beauté, Holbein n’y a même pas songé.

Un jour que nous nous trouvions assis à côté de M. Ingres, nous prîmes la liberté de lui demander quel était l’heureux possesseur de son portrait d’une dame italienne de l’empire, et, comme nous lui exprimions toute l’admiration que ce portrait nous avait fait éprouver à l’exposition universelle de 1855 : « Oui, répondit-il avec la vivacité qui lui était habituelle, c’est bien le portrait que j’aime le mieux avoir fait. Ce n’est pas que dans les autres j’aie fait de concession au moins, mais dans celui-là….. » Il ne s’expliqua pas davantage, pourtant nous n’eûmes aucune peine à compléter et à interpréter sa pensée. De tous ses portraits, c’est en effet dans celui de cette dame italienne que le maître a le plus exclusivement consulté la nature et qu’il l’a le moins corrigée. J’entends ici par corriger la nature contraindre le modèle à choisir telle ou telle pose qui le fasse sortir de son habitude corporelle normale, qui fasse saillir telle ou telle de ses grâces, enfouie d’ordinaire dans la masse de ses traits, ou qui présente sa physionomie sous son caractère le plus sympathique. Ajoutez encore que le peintre peut s’aider de certains auxiliaires et même de certaines conventions pour flatter son modèle, le choix du costume, surtout le choix des couleurs, les accessoires du tableau, un dais, un fauteuil, une cheminée, une table chargée de fleurs ou de livres, une draperie, détails qui donnent au portrait soit plus de majesté, soit plus d’abandon et d’aimable familiarité, selon le caractère qu’on veut rendre. Or Holbein ne s’est jamais inquiété de tels détails; son modèle a mis le costume qui lui a plu, a choisi la pose qu’il a préférée, Holbein s’est occupé non de le faire valoir, mais de rendre son effigie telle qu’elle était réellement. Il y a aussi un genre d’infidélité à la vérité dont il est bien difficile de ne pas se rendre coupable, pour peu qu’on ait la passion de la beauté. Que manque-t-il à l’ovale de ce visage pour être parfait? Peu de chose en vérité, il suffirait qu’il fût arrondi légèrement. Ce nez serait irréprochable, si la courbe, était infléchie d’un millimètre; pourquoi ne pas compléter la nature lorsque cette correction demande si peu de frais? Les mains sont plus belles que le visage, mettons-les en évidence. Qui ne devine que les Italiens se sont mille fois rendus coupables de ce péché véniel? La Joconde de Léonard est irrésistible; mais son adorable sourire était-il l’expression habituelle de son visage, ou bien n’était-il que l’expression exceptionnelle, passagère, de ses heureux momens? Holbein ne se