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chose que reproduire fidèlement ce qu’il voyait, une mer de couleur sale, sur laquelle glisse, furtive, discrète et pâle, une lumière maladive qui n’a pas la force de pénétrer le premier flot. Le musée van der Hoop contient en particulier un spécimen remarquable de ce spectacle. Là où ces couchers de soleil sont les plus beaux, c’est à Amsterdam, et je conseille à tous ceux qui voudront connaître ce phénomène dans toute sa douceur, et en même temps pénétrer la vérité intime des marines hollandaises, d’aller souvent aux bouts de la ville s’accouder sur un des ponts de l’Amstel, et de regarder de là le soleil se coucher sur l’Yachtaven ou sur l’Y; c’est la mélancolie même. Devant ce spectacle, on retrouve sans nul effort quelques-unes des impressions des hommes des anciens âges, on se sent venir une âme d’Hindou du temps des Védas ou de Grec de l’époque poétique, et l’on a envie de croire que le soleil meurt tous les soirs.

Des édifices de La Haye, que j’ai visités comme tout le monde et dont la description se trouve partout, je n’ai rien à dire. Un seul détail m’a frappé d’une manière originale dans la salle des états, c’est la rangée des encriers en étain si soigneusement fourbis et espacés d’une manière si mathématique. Il m’a semblé visiter la salle du congrès de Munster après que les plénipotentiaires auraient eu levé la séance, tant la disposition de cette salle ressemble, grâce à ce détail des encriers, à celle que nous présente la gravure du célèbre tableau où Terburg a peint les membres de ce congrès. En dehors du musée, La Haye n’avait pour moi d’autre intérêt rétrospectif que les souvenirs du Taciturne qui s’y rencontrent, et j’ai dit ailleurs quelle impression ils m’avaient causée. Je n’ai pas eu le courage de visiter la prison où furent enfermés le vieux Barneveldt et les De Witt. Le souvenir des martyrs de la liberté est toujours triste, quand la raison ne peut les absoudre absolument et que leur nom n’éveille pas un enthousiasme sans mélange. La liberté est le plus grand des biens de la vie; mais l’indépendance nationale est la première des conditions de l’existence d’un peuple, et les chefs du parti républicain, s’ils eurent raison devant les principes, eurent toujours tort contre le stathoudérat, qui eut pour lui la force des circonstances, et contre la nation même, qui refusait d’affaiblir son droit de légitime défense, d’exposer son existence conquise par le miracle de son énergie, et par le miracle plus grand encore d’un prince dévoué sans arrière-pensée à ses concitoyens. La philosophie absout les chefs du parti républicain de Hollande; mais l’histoire moins indulgente les condamne. Certes il est toujours triste de voir des âmes nobles tomber sous les coups de l’ignorance et du fanatisme, d’honnêtes gens périr, selon l’expression de Voltaire, parce qu’ils ne pouvaient consentir à penser comme leur tailleur et leur