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C’est dans un de ces momens de faiblesse qu’a eu lieu le supplice de sainte Cécile. M. de Rossi fait remarquer que Marc-Aurèle était alors éloigné de Rome et qu’il défendait les frontières de l’empire contre les barbares. Ce n’est donc pas tout à fait à lui qu’il faut reprocher ces rigueurs, c’est au peuple, qui les exigeait, et aux magistrats, qui les permirent. Les chrétiens eux-mêmes, qui en ont souffert, semblent les lui avoir pardonnées, et Tertullien, qu’on n’accusera pas d’être complaisant, ne veut pas le compter parmi les persécuteurs.

Sous Septime Sévère, une vingtaine d’années après la mort de sainte Cécile, le cimetière des Cæcilii sortit de la famille qui l’avait possédé jusque-là, et changea de régime. Il fut confié par le pape Zéphyrin, qui en était devenu le maître, à son diacre Calliste, et commença de porter son nom. Ce personnage tient une grande place dans le livre de M. de Rossi, et il convient d’en dire un mot avant de nous occuper des changemens qu’il a sans doute conseillés et exécutés. Nous ne le connaissons guère que depuis la publication de l’ouvrage qu’on appelle ordinairement les Philosophoumena. Cet ouvrage, qui était resté caché jusqu’à nos jours dans la bibliothèque d’un couvent grec, causa, quand il parut, une vive surprise et un grand scandale. Il est certain qu’il dérangeait singulièrement les opinions reçues. Il racontait surtout d’une manière fort inattendue la vie de ce Calliste, dont les fidèles avaient fait un pape et dont plus tard l’église a fait un saint. Si l’on en croit l’auteur inconnu des Philosophoumena, ce pape et ce saint n’était qu’un ancien esclave qui faisait la banque avec l’argent de son maître Carpophore, et que les chrétiens, trop crédules, avaient chargé de faire valoir les deniers de l’église. Il réussit mal dans ses opérations, et dissipa l’argent qu’on lui avait confié. Pour se dispenser de rendre ses comptes et reconquérir par un coup d’éclat sa popularité, que ses désastres avaient ébranlée, il s’avisa d’aller faire du bruit dans la synagogue des Juifs et de troubler leurs cérémonies. Exilé en Sardaigne pour cet acte d’intolérance, puis rappelé en Italie par le crédit de Marcia, maîtresse de Commode, qui protégeait les chrétiens, il devint, on ne sait comment, le favori et le successeur du pape Zéphyrin. Son caractère ne changea pas avec sa fortune. Il avait été esclave infidèle et banquier frauduleux ; évêque de Rome, il fut hérétique, corrupteur, simoniaque, « et enseigna par son exemple l’adultère et le meurtre. » Voilà certes une histoire peu édifiante pour un pape et pour un saint; heureusement elle n’est guère croyable. M. de Rossi n’a pas de peine à prouver[1] que la violence

  1. Il a discuté surtout cette question dans son Bullettino di Archeologia cristiana de 1866.