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biset tous nos pigeons domestiques peuvent se résumer de la manière suivante. Les races les plus éloignées se rattachent les unes aux autres par des intermédiaires. Si les races principales ne résultent pas de la variation d’une seule espèce, si leurs caractères essentiels sont dus à la descendance de plusieurs espèces distinctes, il faut admettre une douzaine de souches ; il faut admettre aussi que ces douze espèces primitives avaient toutes les mêmes mœurs, les mêmes instincts. Or l’état actuel de l’ornithologie permet d’affirmer que ces espèces n’existent pas aujourd’hui. On serait ainsi conduit à supposer qu’après avoir été domestiquées elles ont disparu ; hypothèse entièrement gratuite. Ces espèces supposées auraient dû être extrêmement différentes de toutes les espèces du genre actuellement vivantes et présenter même certains caractères qu’on ne retrouve peut-être dans aucun oiseau. À l’exception des différences caractéristiques, toutes les races de pigeons ont dans la manière de vivre, dans la manière de nicher, dans leurs goûts, dans leurs allures au temps des amours, la plus grande ressemblance entre elles et avec le biset. Spontanément ou par suite du croisement de races bien tranchées, on voit reparaître souvent certaines particularités de plumage et de teintes rappelant exactement ce qui existe chez le biset.

Les argumens qui précèdent reposent essentiellement sur des considérations morphologiques ; mais Darwin en a appelé aussi à la physiologie et au croisement. Il rappelle d’abord combien il s’est fait de tentatives depuis deux ou trois siècles pour domestiquer de nombreux oiseaux sans qu’on ait ajouté en réalité un seul nom à la liste des espèces apprivoisées. Il aurait donc fallu dès le début soumettre à la domestication une douzaine d’espèces distinctes, et cela si complètement qu’elles fussent devenues aptes à se croiser sans difficulté aucune en produisant des hybrides aussi féconds que leurs parens[1]. Cette hypothèse serait bien peu d’accord avec l’expérience. L’auteur cite un nombre considérable de tentatives faites pour croiser diverses espèces du genre pigeon soit entre elles, soit avec les pigeons domestiques, et toujours les unions ont été infécondes ou n’ont donné que des individus incapables de se reproduire. Tout au contraire, les mariages entre pigeons domestiques, quelque éloignées que soient les races, se montrent toujours féconds, et les produits ne laissent rien à désirer sous ce rapport. Darwin cite ici ses expériences personnelles à la fois nombreuses et décisives. Dans l’une d’elles, il a par des croisemens successifs

  1. Ici, et dans plusieurs autres passages de son livre, Darwin admet la doctrine de Pallas, et pense que la domestication a pour résultat de faciliter les croisemens et d’en accroître la fécondité.