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pèces est entièrement facultative[1]. » Quand il écrivait ces paroles, M. Naudin donnait à la morphologie une prédominance que je ne puis admettre. Je suis au contraire pleinement d’accord avec lui quand, prenant pour exemple trois formes de courges comestibles, assez semblables pour avoir été réunies par Linné en une seule espèce, il montre que ces plantes refusent de donner des hybrides par croisement mutuel, et en conclut qu’il y a là « trois autonomies spécifiques » parfaitement distinctes, ou bien lorsque, rappelant ses expériences sur les daturas, il tire les mêmes conséquences des phénomènes de retour et des troubles manifestés par les hybrides dans la végétation.

Il me semble en effet impossible de ne pas accorder aux caractères physiologiques tirés des phénomènes de reproduction une importance tout autre qu’à ceux qu’on peut emprunter à la forme. Nous voyons chaque jour celle-ci varier entre les mains de nos éleveurs, de nos jardiniers, de nos simples maraîchers, sans que jamais homme de science ou de pratique ait la pensée de faire une espèce à part des produits les plus aberrans, lorsque la filiation en est bien connue. L’autorité des faits l’emporte sur toutes les théories, et ramène à des conclusions identiques les esprits les plus divergens. On ne regardera pas davantage comme appartenant à la même espèce, quelque voisines qu’elles semblent être, des formes héréditaires entre lesquelles il est impossible d’obtenir des unions fécondes. En pareil cas encore, la réalité domine toutes les subtilités d’école. Ainsi, en présence des faits, les morphologistes les plus ardens acceptent la supériorité des caractères physiologiques empruntés à la fonction qui perpétue les êtres vivans.

Au fond, la grande question est donc de savoir au juste jusqu’à quel point l’expérience peut nous éclairer sur la nature de ces deux groupes, jusqu’à quel point sont constans les phénomènes du métissage d’une part, de l’hybridation de l’autre. Darwin lui-même ne s’y est pas trompé. Sans doute dans son livre sur l’Espèce il a, comme Lamarck, parlé de ces espèces douteuses qui embarrassent les naturalistes par l’incertitude des caractères morphologiques ; il a invoqué surtout le témoignage des botanistes, et cité le nombre assez considérable des types qui, en Angleterre seulement, ont été considérés tour à tour comme espèce et comme race. Toutefois il insiste assez peu sur cet ordre de considérations, tandis qu’il consacre en entier un de ses quatorze chapitres à la seule question de l’hybridité. Dans son second ouvrage, cinq chapitres sont employés

  1. Nouvelles recherches sur l’hybridité dam les végétaux, § VIII (Annales des sciences naturelles, 4e série, t. XIX).