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jusqu’à ramener quelques descendans des premiers métis à l’une des deux races parentes. Est-ce un véritable retour ? Non, car le sang de l’autre race reparaîtra bien souvent parmi les fils ou petits-fils de ces individus. Ici encore les exemples abonderaient au besoin. J’en ai emprunté un tout à l’heure à Darwin ; j’aurais pu rappeler également les expériences de Girou de Buzareingues et en particulier la généalogie qu’il a donnée d’une famille de chiens dans laquelle s’étaient mélangés par portions, paraît-il, à peu près égales le sang du braque et celui de l’épagneul. Un mâle, braque par ses caractères, uni à une chienne braque de race pure, engendra des épagneuls. Ce dernier sang, on le voit, n’avait point été annihilé, et le retour n’était qu’apparent. Je me borne à indiquer ces cas. Ils permettent de conclure que le vrai retour aux types et la véritable variation désordonnée n’ont encore été constatés comme règle générale que dans l’hybridation, et qu’en revanche l’atavisme ne s’est montré que dans le métissage.

On peut ramener à un petit nombre de propositions simples et brèves les deux ordres de faits que je viens de résumer. L’espèce est variable, et cette variabilité s’accuse par la production des variétés et des races. Les races, simples démembremens d’un type spécifique, restent physiologiquement unies entre elles et au type qui leur a donné naissance. Ce lien physiologique se montre dans le métissage par la facilité et la fécondité des unions entre les races les plus différentes de formes[1], par la persistance de la fécondité chez les métis, par les phénomènes de l’atavisme. Entre les espèces, le lien physiologique fait défaut, et de là résultent dans l’hybridation l’extrême difficulté et l’infécondité habituelle des unions, la stérilité de la plupart des hybrides, les phénomènes de variation désordonnée et de retour, l’absence d’atavisme chez les descendans d’hybrides revenus au type spécifique. Les races métisses se forment aisément, spontanément, en dehors de l’action de l’homme et parfois malgré ses efforts. En dépit d’innombrables tentatives, l’homme n’a encore obtenu qu’une seule race hybride comptant une vingtaine de générations, et il n’a pu la conserver jusqu’ici que par des soins incessans et minutieux. Voilà les faits que présente la nature actuelle. On ne saurait les perdre de vue lorsqu’on aborde d’une manière quelconque les problèmes qui touchent à l’origine, à la constitution des espèces, car ils représentent tout

  1. Je n’ai guère parlé ici que des formes intérieures ou extérieures. Quand il s’agit de comparer l’espèce et la race, cet ordre de caractères est ordinairement seul pris en considération ; mais on sait que chez les animaux et les végétaux des modifications fonctionnelles devenues héréditaires caractérisent fort bien certaines races, et qu’il en est de même chez les animaux pour les modifications de l’instinct, des habitudes, etc.