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Cette distinction ne pouvait échapper à M. Naudin, et il y revient en terminant son beau mémoire. « Les espèces, dit-il, lorsqu’elles varient en vertu de leurs aptitudes innées, le font d’une manière bien différente de celle que nous avons constatée dans les hybrides. Tandis que chez ces derniers la forme se dissout, d’une génération à l’autre, en variations individuelles et sans fixité, dans l’espèce pure au contraire, la variation tend à se perpétuer et à faire nombre. Lorsqu’elle se produit, il arrive de deux choses l’une : ou elle disparaît avec l’individu sur lequel elle s’est montrée, ou elle se transmet sans altération à la génération suivante. Et dès lors, si les circonstances lui sont favorables et qu’aucun croisement avec le type de l’espèce ou avec une autre variété ne vienne la troubler dans son évolution, elle passe à l’état de race caractérisée, et imprime son cachet à un nombre illimité d’individus. » En d’autres termes, les espèces proprement dites peuvent seules donner des races ; les hybrides ne produisent que des variétés, et l’uniformité ne s’établit dans leur descendance « qu’à la condition que celle-ci reprenne la livrée normale des espèces, » c’est-à-dire qu’elle subisse la loi de retour au type.

Nous venons de voir le retour aux types des parens s’effectuer partiellement et pendant plusieurs générations successives. On peut montrer par un autre exemple intéressant ce même phénomène s’effectuant brusquement, après avoir été précédé des particularités qui caractérisent d’ordinaire l’hybridation. M. Naudin avait choisi cette fois le datura stramonium, dont la plupart de nos lecteurs connaissent sans doute la belle tige arborescente, et le datura ceratocaula, espèce « à tige traînante, ordinairement simple et probablement celle de tout le genre qui a le moins d’affinité avec le datura stramonium » Celui-ci jouait le rôle de mère. Dix fleurs furent préparées avec les soins nécessaires, et furent fécondées artificiellement avec le pollen du datura ceratocaula. L’opération réussit sur toutes, et l’expérimentateur put récolter dix capsules mûres ; mais aucun de ces fruits n’avait la grosseur normale. Les plus développés atteignaient à peine à la moitié du volume ordinaire de la pomme épineuse. Le développement des graines était en outre fort inégal ; une bonne moitié avait avorté, et n’était représentée que par des vésicules aplaties et ridées ; d’autres, bien conformées extérieurement, quoique plus petites que les graines normales, ne contenaient pas d’embryon, et par conséquent étaient infertiles. En somme, les dix capsules ne fournirent à M. Naudin qu’une soixantaine de graines paraissant arrivées à un complet développement, au lieu de plusieurs centaines qu’il aurait recueillies sur l’une ou sur l’autre espèce non croisée.