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distinctes, parce qu’on ne connaissait pas les termes intermédiaires ; on n’a jamais eu la pensée de les placer dans des genres différens. De l’Inde au Sénégal, le chacal a changé, sans atteindre même le degré de variation qu’admettait Cuvier. L’hélice lactée, espèce d’escargot comestible très estimé des Espagnols, originaire d’Espagne et du nord-ouest de l’Afrique, a été transportée dans notre département des Pyrénées-Orientales, et en Amérique jusqu’à Montevideo. Elle a donné naissance à des races bien caractérisées, et la race montévidéenne surtout aurait été certainement regardée comme une espèce distincte, si on n’eût connu son origine ; mais elle n’a pas franchi pour cela les bornes qui séparent les hélices proprement dites des genres les plus voisins.

On voit que la ressemblance entre individus représentans d’un même type spécifique n’est que relative, que l’espèce est variable dans des limites assez étendues et quelque peu indéterminées. La variété et la race ne sont autre chose que l’expression de cette variabilité s’accusant par des caractères individuels dans la première, héréditaires dans la seconde. Au contraire, l’idée de ressemblance est le fondement même de la race, puisque, les caractères venant à varier, il se forme une race nouvelle, se rattachant à l’espèce par l’intermédiaire de toutes les races apparues avant elle. Toute race fait donc partie de l’espèce dont elle est dérivée, et réciproquement toute espèce comprend, indépendamment des individus qui ont conservé les caractères primitifs du groupe, tous ceux qui appartiennent aux races primaires, secondaires, tertiaires, dérivées du type fondamental. Pour citer un exemple frappant, aujourd’hui incontestable grâce au travail de Darwin, il n’est pas un de nos pigeons qui ne descende du biset, et cette espèce, la columba livia des naturalistes, se compose à la fois de tous les bisets sauvages et des cent cinquante races distinctes et ayant reçu des noms particuliers qu’a étudiées le savant anglais. Dans ce chiffre ne sont pas comprises, bien entendu, les variétés individuelles qui se produisent fréquemment et dont Darwin fait connaître de nombreux et curieux exemples.

Quand il s’agit de l’espèce, la notion de filiation se présente avec un caractère bien plus précis que la précédente, quoique les discussions aient porté et portent encore principalement sur elle. Évidemment, entraînées par leurs doctrines générales, les écoles opposées se sont laissées aller sur ce point à des exagérations en sens contraire dont se préserve aisément quiconque étudie les faits sans parti-pris. Constatons d’abord que personne ne croit plus à la fécondité du croisement entre animaux appartenant à des classes ou à des familles différentes. Réaumur, fût-il encore témoin des étranges