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d’argent lorsqu’elle va en Allemagne, et pour notre monnaie d’or quand elle est en Angleterre. C’est ce qui explique comment quelquefois nous payons la livre sterling jusqu’à 25 fr. 35 cent., même 25 fr. 40 cent., et pourquoi nous subissons une réduction de 1 1/2 à 2 pour 100 dans la conversion de nos francs en florins. Nous préférons acheter une traite à ce taux plutôt que de faire une expédition d’or ou d’argent qui, avec les frais de transport et ceux de refonte, nous reviendrait encore plus cher. Du reste, cet inconvénient est tellement senti que déjà l’on arrive par la force des choses à créer une espèce de monnaie internationale avec le lingot. On s’en sert pour les forts paiemens, et il donne lieu à un trafic de plus en plus considérable. Les tableaux officiels nous apprennent qu’en France, pendant l’année 1868, sur une importation de métal d’or de 491 millions, 200 sont arrivés à l’état de lingots. Pour l’argent, la proportion est de 64 millions en lingots contre 127 en monnaie. A l’exportation, les résultats sont sensiblement moindres en ce qui concerne l’or : 22 millions en lingots contre 266 en monnaie. L’exportation en numéraire d’argent a été de 52 millions contre 22 en lingots; mais c’est un fait exceptionnel dû à des besoins particuliers de l’Italie. Depuis quelques années, chez nous, l’exportation en lingots domine; elle a été de 45 millions en 1867 contre 18 en numéraire, et de 111 millions en 1866 contre 93. La raison en est facile à donner. Nous sommes pour l’or de grands consommateurs et nous avons intérêt à le monnayer, d’abord pour notre propre circulation, qui s’en enrichit chaque année, ensuite parce que notre monnaie est de plus en plus acceptée dans les divers pays d’Europe. C’est le contraire pour l’argent : on nous envoie plus de lingots, et nous envoyons moins de monnaie. Cela prouve entre parenthèses, comme je l’ai démontré dans un précédent travail, que, lorsque l’argent n’a plus les mêmes débouchés au dehors, il reflue en France à cause de la valeur légale que nous lui maintenons. Cet exemple est significatif, et il devrait faire comprendre aux défenseurs du double étalon le danger où nous met ce système. Le lingot d’argent abonde chez nous, et nous en avons de moins en moins le placement sous forme de monnaie.

En Amérique, cette transmission du lingot se fait sur une très large échelle; on va même jusqu’à le certifier comme poids et comme titre aux hôtels des monnaies, afin de le faire circuler plus facilement. Ce procédé est utile assurément, et il simplifie quelques opérations de change; mais il ne peut pas tenir lieu de monnaie internationale. Il ne convient que pour les gros paiemens, il n’est pas à la portée de tout le monde, et il devient le monopole de ceux qui font en grand le trafic des monnaies, c’est-à-dire encore des chan-