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gent, ces pays acceptent déjà notre or, ils l’acceptent même plus facilement qu’ils ne le font pour notre monnaie d’argent lorsque celle-ci n’est pas frappée au même type que la leur. Se préoccupe-t-on du besoin de se procurer ce métal afin de l’envoyer dans des contrées qui n’en connaissent pas d’autre, qui n’en veulent pas d’autre, on peut être sûr qu’il restera toujours, comme toute marchandise qui a son utilité et son placement, et on le trouvera sous forme de lingot autant qu’on le voudra. L’Angleterre nous en fournit la preuve. Ce pays n’a que l’étalon d’or, et cependant c’est celui qui trafique le plus avec les peuples qui n’ont que la monnaie d’argent, avec l’extrême Orient surtout, et il n’est pas embarrassé pour ses paiemens. On ajoute, il est vrai, qu’il s’appuie sur la réserve métallique de la France, que c’est nous qui lui fournissons le métal d’argent dont il a besoin, et que, si cette réserve venait à disparaître par la suppression du double étalon, l’Angleterre elle-même serait livrée aux plus grands embarras. L’argument est singulier. Il est curieux d’entendre dire que nous conservons l’étalon d’argent pour la plus grande satisfaction des intérêts anglais, et ce qui est plus curieux encore, c’est que les Anglais ont l’air de peu se soucier du service que nous leur rendons. Ils sont les premiers à nous presser de nous défaire du double étalon comme d’un système tout à fait suranné. Il ne peut en effet entrer sérieusement dans l’esprit de personne que, le jour où l’argent serait démonétisé en France et même ailleurs, on ne le trouverait plus à l’état de marchandise. Il se dépréciera, continue-t-on, s’il cesse d’être à l’état monétaire. Sans doute il se dépréciera, surtout si la mesure se généralise; mais qu’y faire, si cela résulte de la plus grande utilité de la monnaie d’or, de l’extension que celle-ci est appelée à prendre? Peut-on lutter contre la force des choses? Croit-on que, parce que nous nous obstinerons, au grand préjudice de nos intérêts, à laisser notre marché ouvert à la monnaie d’argent, nous empêcherons cette dépréciation de se produire ? Autant vaudrait dire qu’on peut arrêter un fleuve dans son cours en lui opposant un barrage plus ou moins élevé. Le fleuve se répandra toujours, seulement les obstacles artificiels qu’on lui aura créés feront qu’il submergera tout ce qui l’entoure. Tel est le danger qui nous menace avec le double étalon. Les autres nations, mieux avisées, démonétiseront leur argent à nos dépens, et un beau jour nous serons inondés de ce métal, qui n’aura plus de valeur légale que chez nous. C’est là une perspective grave à laquelle ne peut se soumettre un gouvernement soucieux des intérêts du pays, et qui a le sentiment de sa responsabilité.

Voilà le point de vue français de la question. Il en est un autre