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la cuirasse du guerrier : c’est ainsi qu’il s’est fait représenter sur les camées.

Après Mars vient Minerve. Les lettres, l’histoire, l’archéologie, remplissaient les heures de loisir. Les césariens n’avaient perdu ni leur goût fin, ni leur science littéraire, ni l’art d’assaisonner des éloges capables de satisfaire un auteur. Les œuvres de Claude étaient récitées, que dis-je! déclamées en public par les plus habiles orateurs du temps. Elles obtenaient un succès prodigieux, et Claude jouissait de sa gloire en même temps que de son propre génie. Les Grecs d’Alexandrie lui causèrent même une de ces joies que jamais n’a éprouvées peut-être un écrivain couronné. Ils fondèrent dans le Musée d’Alexandrie deux académies spéciales qui prirent le nom de Claudiennes. Elles se réunissaient à des époques régulières, et leur seule tâche était de lire dans leurs séances, l’une l’histoire des Étrusques, l’autre l’histoire des Carthaginois, écrite en grec par l’empereur. C’était long, mais le zèle des associés était à la hauteur de leur tâche. Les séances se suivaient, et les académiciens se relayaient jusqu’à ce qu’on eût achevé cette lecture, qui recommençait l’année suivante. Évidemment les Grecs d’Alexandrie avaient une vertu inconnue aux modernes. Jusqu’ici du moins, quoiqu’il n’ait pas manqué de souverains qui aient écrit l’histoire, il ne s’est point trouvé de corps assez convaincu pour se soumettre à une pareille épreuve, ni de ministre assez césarien pour la provoquer.

Les travaux publics étaient une des occupations qu’on avait imaginées pour Claude. Il y prenait goût, car c’est le plaisir d’un sot aussi bien que d’un homme d’esprit. Les particuliers les plus niais se ruinent le plus volontiers en constructions; les princes les plus médiocres se croient grands quand ils inspectent de vastes chantiers où s’agite une légion de maçons, quand ils voient la matière leur obéir, s’accumuler, se dresser jusqu’au ciel pour annoncer à la postérité leur nom avec la ruine de leur peuple. Les césariens trouvaient leur compte dans ces entreprises somptueuses : ce sont des gouffres qui permettent les grands vols, les cachent, les justifient. Les trois entreprises principales du règne de Claude, un port, un aqueduc, un émissaire, étaient inutiles et gigantesques; elles ont dévoré des sommes immenses.

Le port est celui d’Ostie, dont il ne reste rien, parce que la nature a repris ses droits et comblé ce que la main de l’homme avait creusé, comme à Tyr, à Utique, à Carthage. Il y avait eu famine à Rome, et la multitude avait poursuivi Claude de ses huées en lui jetant des morceaux de pain à la tête. Les césariens profitèrent de l’épouvante du maître; ils lui démontrèrent que la faim était la seule question politique pour un pouvoir absolu, qu’il fallait