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est issu de sang royal, Pallas n’est plus abordable. Les princesses du sang sont seules dignes de devenir ses maîtresses; Agrippine, la fille du grand Germanicus, sera admise à cet insigne honneur. De nombreux esclaves s’agitent autour de lui sans obtenir une parole qui profanerait cette bouche auguste; il ne leur commande que du geste, en détournant les yeux; si l’ordre est trop compliqué, il trace quelques mots sur ses tablettes et les jette à son ancien compagnon de chaîne. Narcisse se contente des insignes de la questure, Pallas exige ceux de la préture, que le sénat ne tarde pas à lui offrir. Les lois interdisent aux affranchis l’accès des grandes magistratures; mais Pallas se venge des lois sur les magistrats qui se morfondent dans son atrium et sur les patriciens qu’il daigne à peine saluer quand ils se précipitent et se courbent vers lui. Un jour, par l’ordre d’Agrippine, que Pallas a fait épouser à Claude et dont il est resté l’amant, le sénat vote à ce fidèle serviteur de césar des actions de grâces et un présent de 4 millions. Pallas, qui a provoqué cet élan patriotique, refuse avec ostentation. « Heureux de servir césar et son pays, il garde sa pauvreté ! » Néron, qui le fera tuer pour hériter de lui, fera l’inventaire de cette honnête pauvreté, et nous apprendra que Pallas possédait 60 millions, c’est-à-dire dix fois cette somme en monnaie de nos jours : 60 millions amassés en moins de quatorze ans !

Ensuite vient Calliste, affranchi et ancien secrétaire de Caligula. On l’avait trouvé établi au Palatin, il avait toujours protégé Claude pendant le règne de son terrible neveu, il avait le droit de faire ses conditions. Les affranchis de Claude avaient besoin de lui ; c’était un initiateur nécessaire, car il connaissait bien des secrets, expliquait aux nouveau-venus les rouages occultes du gouvernement, faisait tomber les masques de tous les visages, tenait le nœud de toutes les intrigues. On lui a fait royalement sa part. Il est associé au grand Pallas et au tout-puissant Narcisse, partage leur crédit, leurs bénéfices, et est déjà aussi riche qu’eux. Tous les trois, ils forment un triumvirat que les autres affranchis reconnaissent tacitement et auquel ils obéissent. Ils réunissent une fortune qui égale les revenus du fisc impérial et qui équivaut à plus d’un milliard de notre temps. Quand Claude se plaint d’être gêné: « Obtenez de vos affranchis, lui dit un plaisant, qu’ils vous associent à leurs affaires. » Calliste n’en est pas plus fier : il a trop tremblé sous Caligula. Il a des manières discrètes et une gravité charmantes; il rappelle volontiers qu’il a connu l’ancienne cour; il a la tradition, il est le grand-maître des cérémonies, il ne se compromet jamais et ne voudrait compromettre personne; c’est le tombeau des secrets, le canal des pétitions et des grâces; il traite admirablement, son palais est d’une magnificence qu’il met à la