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moteur, elle n’est qu’un instrument. Il faut donc descendre plus bas encore et chercher dans les profondeurs du palais ces moteurs qui se dérobent et le secret du pouvoir absolu qui tombe de main en main.


IV.

Il y avait à Rome une loi libérale et vraiment belle, si elle avait été appliquée avec sincérité. Lorsqu’un esclave avait rendu pendant six ans des services signalés à son maître, lorsqu’il avait fait un dur noviciat dans sa nouvelle patrie, il pouvait être affranchi et devenir un citoyen. L’esclavage était alors pour les captifs une initiation; l’affranchissement était pour la cité un mode de recrutement. Malheureusement, avec la corruption des mœurs, le principe s’était altéré. Ce n’étaient point leurs vertus qui faisaient obtenir aux esclaves la liberté, c’étaient leurs vices. En outre, comme on les avait relégués dans les quatre tribus urbaines, dont le vote était collectif, ils n’avaient aucune influence et se rejetaient sur d’autres moyens de parvenir. Ils restaient les familiers de leur ancien maître, se chargeaient de ses affaires, des plus délicates comme des plus honteuses, étaient les agens de ses spéculations et de ses intrigues, s’enrichissaient par l’industrie, le commerce, les finances, envahissaient peu à peu les charges subalternes, mais lucratives, se poussaient dans l’administration, et, une fois riches, se glissaient dans l’ordre des chevaliers et même dans le sénat. Les guerres civiles avaient fait surgir des affranchis tout-puissans, qui avaient exploité la gloire et le crédit de leurs maîtres. Chrysogon était le ministre secret de Sylla, Hipparque celui d’Antoine, Démétrius celui de Pompée.

L’importance des affranchis s’accrut encore sous l’empire : leur obscurité rassurait les césars, leur bassesse les rendait commodes, leur intelligence utiles, leur droit de familiarité nécessaires, leur corruption charmans. Prêts à tout, ils s’entremettaient, s’imposaient, flattaient, dénonçaient, ouvraient les sources les plus imprévues de plaisirs et de richesses; on ne pouvait se passer d’eux. Capables du reste, lettrés, actifs, hardis, rompus aux affaires, ils s’emparaient de toute l’administration, hormis des charges curules. A mesure que les citoyens asservis se montraient plus indignes de s’administrer eux-mêmes, les affranchis grandissaient et prenaient leur place dans leurs affaires, dans leur maison, souvent dans leur couche; ils finirent par la prendre sur le trône.

S’il y eut à Rome un palais où les affranchis purent s’abattre comme un essaim de guêpes sur un tronc vermoulu, ce fut le palais de Claude. Claude était sans défense, il était riche, il appartenait