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monte à la surface. L’impudence devient une force, le mépris des lois une vertu, le vice une garantie, et bientôt la camarilla a formé autour de son maître un cercle impénétrable aux honnêtes gens, à l’opinion publique et à la vérité.

Claude, tel que nous l’avons décrit, étranger aux affaires, incapable, crédule, poltron, tiré du mépris et de l’obscurité, ne peut manquer de tomber dans les mains les plus viles à la fois et les plus audacieuses : il est destiné à être le jouet de ses femmes et de ses esclaves.

La femme remplit un grand rôle dans les sociétés en décadence. A mesure que l’homme s’affaiblit, la femme domine; à mesure qu’il rompt avec le devoir, elle rejette tout frein; à mesure qu’il s’avilit, elle descend avec ivresse jusqu’à la fange, passionnée, prompte à s’emporter, voulant dépasser en tout, dans le mal comme dans le bien, l’homme qu’elle méprise, et se jetant avec la même facilité dans les deux extrêmes. Ce serait une intéressante histoire que celle des femmes romaines depuis les plus beaux temps de la république jusqu’aux plus mauvais jours de l’empire. Quelle galerie que celle où l’on aurait d’un côté les images de Lucrèce, de Cornélie, mère des Gracques, d’Octavie sœur d’Auguste, d’Agrippine femme de Germanicus, d’Arria femme de Pétus, de l’épouse et de la fille de Thraséas, de l’autre les scélérates, depuis Tullie, femme de Tarquin, jusqu’à Livie, type de l’ambition, jusqu’à Julie, type de l’impudence spirituelle, jusqu’à Messaline, type de la brutalité. Dans les temps de vertu et d’héroïsme, les femmes sont capables d’égaler les hommes; dans les temps de crime, elles essaient de les surpasser.

Or l’empereur Claude méritait avec beaucoup plus de raison que le Tibre l’épithète d’uxorius que Virgile donne à ce fleuve. Si quelqu’un était uxoriux, c’est-à-dire d’une pâte faite pour obéir aux femmes, c’était assurément le bon Claude. Il s’est fiancé et marié aussi souvent que l’ont voulu ses parens et ses affranchis. Tout jeune encore, on le fiança à Émilia Lépida, petite-fille d’Auguste; mais, la famille de Lépida ayant encouru la disgrâce du prince, le mariage fut rompu, et Claude fiancé avec Livia Médullina, qui eut comme un pressentiment de sa triste destinée et dont les parques bienveillantes tranchèrent la vie le jour même de ses noces. Alors on maria Claude avec Plautia Urgulanilla, âme résolue, que la sottise de son mari rendit criminelle. Si elle n’eût été qu’adultère, Claude se serait contenté d’exposer, comme il l’a fait, l’enfant qu’elle avait eu de l’esclave Mnester; mais elle fut accusée d’homicide, et Claude la répudia. Il épousa aussitôt, car la place ne pouvait jamais rester vide, Ælia Pætina, qui plut moins aux affranchis et aux familiers de la maison, et qu’on poussa Claude, sans qu’il sût