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faires, lettré et niais, plein de zèle et de ridicule, adonné au travail, plus adonné aux plaisirs grossiers, partagé entre l’esprit et la matière, mais inclinant surtout vers la matière, bon vivant et malheureux, timoré parce qu’il était rudoyé par ses égaux, qui ne lui pardonnaient pas plus ses infirmités physiques que son infirmité morale, vaniteux parce qu’il n’était entouré que de subalternes qui le flattaient, exploité, dupé par tous, plastron perpétuel, bouffon involontaire dont la famille impériale rougissait et qu’épargnèrent les plus féroces tyrans, tant ils le savaient inoffensif.

On peut tracer, d’après Suétone, une ébauche de ce personnage malencontreux : le portrait n’a rien de flatteur. Claude était âgé de cinquante ans quand son neveu Caligula fut assassiné. Il ne manquait pas d’une certaine dignité extérieure lorsqu’il était assis ou debout, c’est-à-dire au repos. Sa taille était grande sans trop de maigreur, son cou gras : il avait assez bon air et de beaux cheveux blancs; mais lorsqu’il marchait, ses genoux étaient chancelans. Bien des infirmités le rendaient grotesque dans les actes sérieux comme dans la vie familière. Il avait le rire laid et bête, la colère dégoûtante; sa bouche avait alors le rictus, l’ouverture de gueule d’un animal; elle se bordait d’écume, ses narines devenaient humides. D’ordinaire sa langue était embarrassée et le trahissait; sa tête était agitée par un tremblement continuel qui redoublait quand il se mettait en action. Gourmand, il mangeait avec excès et s’endormait à table. Il aimait les femmes sans choix, brutalement; il aimait surtout les jeux de hasard, et même en voiture il fallait qu’il jouât aux dés. Les spectacles du cirque et de l’amphithéâtre lui inspiraient une passion plus forte encore : il arrivait le premier pour prendre sa place, dès le point du jour, se retirait le dernier, et contemplait curieusement le visage des gladiateurs expirans jusqu’à la fin de leur agonie.

Les monumens figurés nous permettent de contrôler jusqu’à un certain point le témoignage écrit des auteurs. Il est vrai qu’à mesure qu’on avance dans l’histoire de l’empire, il faut se défier des fictions officielles et des complaisances imposées aux artistes. L’idéal vient sans cesse corriger la réalité; comme la divinité des empereurs devient un fait régulier, nécessaire, inévitable, l’art se prête à les embellir ainsi qu’il convient à des dieux. Il faut faire la part de cet idéal, c’est-à-dire de la fiction politique, et démêler soigneusement ce qui reste de réalité. Les monumens doivent donc être soumis à une critique sévère : ceux-là seuls seront admis et comparés qui offriront un caractère net, un type individuel, des particularités conformes à l’histoire. Les statues de Claude ne sont pas rares : il y en a au Vatican, au musée de Saint-Jean de Latran, au musée de Naples et dans quelques palais de Rome. La plus belle