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Cet innocent avait cependant de bons côtés. Après avoir vu son honnête ambition repoussée sous tous les règnes, il se consola par l’amour des lettres, et cultiva la science avec une certaine application. Tite-Live l’avait même engagé à écrire l’histoire, chose difficile pour le pauvre Claude, s’il n’avait eu auprès de lui des précepteurs, des secrétaires, des affranchis grecs. Apollodore et Sulpicius Flavus, dont Auguste parle avec une mince estime, étaient ses collaborateurs après avoir été ses maîtres; Polybe était un de ses secrétaires les plus intelligens. Claude n’était indifférent ni aux éloges qui lui étaient prodigués par ses familiers, ni à la gloire qu’il rêvait et qui était un lot moins certain. Du moins la liste de ses ouvrages dénote-t-elle des efforts considérables. D’abord il avait commencé par écrire l’histoire des guerres civiles, et il parlait naturellement de César, sujet lugubre et périlleux, qui a toujours porté malheur à ceux qui ont osé en faire l’apologie, et que ceux-là seuls ont le droit de traiter qui jettent sur cette série d’attentats et de crimes les clartés de la morale. Claude avait rédigé les deux premiers livres de ce récit lorsqu’il fut arrêté par le bon sens des femmes qui veillaient de loin sur lui. Livie lui défendit de s’occuper de matières trop délicates pour un sot, et qu’il était prudent de laisser à jamais dans l’ombre; Antonia lui rappela durement qu’Antoine était son grand-père et qu’il ne pouvait prendre parti ni pour lui contre Auguste, ni pour Auguste contre lui. Claude choisit alors l’époque que l’on appelait dans le langage officiel du temps la pacification du monde, ce qui signifiait le règne d’Auguste, et il composa une histoire divisée en quarante et un livres. Il rédigea aussi ou fit rédiger huit livres de Mémoires sur sa vie. Le seul jugement qu’en porte Suétone, qui les a lus, c’est qu’ils étaient dénués d’es- prit, mais non d’élégance. Rien ne s’explique mieux : le fond était de Claude, la forme de ses collaborateurs.

Il avait quelques prétentions en matière de grammaire et d’orthographe. Il prouva que l’alphabet latin était trop pauvre et proposa d’y introduire trois lettres. On ne connaît que deux de ces lettres; l’une c’est le ps (ψ) des Grecs, la seconde le digamma (F) aspiré des Éoliens. Claude savait le grec comme tous les jeunes gens de son siècle; il le lisait, il le parlait, il l’écrivait. Ce fut dans cette langue qu’il composa huit livres sur Carthage et vingt livres sur les Étrusques, — grande compilation où les écrivains postérieurs ont puisé quelquefois. Des affranchis ou des esclaves carthaginois avaient traduit sans doute les principaux manuscrits rapportés après la conquête de l’Afrique, tandis que des archéologues avaient initié Claude à la connaissance des antiquités étrusques. Nous dirons plus tard quel singulier succès obtinrent ces deux ouvrages. Ainsi le frère de Germanicus était à la fois studieux et incapable de s’occuper d’af-