Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans beaucoup d’efforts de sa part, aidé qu’il est dans son métier d’agent provocateur par la brutalité imprévoyante des Turcs. Les intrigues russes ne sont donc point un fait accidentel et imprévu dont la découverte ait pu étonner et irriter la diplomatie occidentale. Ajoutez même que les Russes qui en Orient provoquent les chrétiens à la révolte sont loin d’être tous des agens salariés du gouvernement russe. Il ne faut pas s’y tromper, la haine du Turc et la sympathie pour le chrétien sont des sentimens passés dans le caractère russe. Le Russe en Orient provoque à la révolte contre le Turc par habitude, par goût national, et sans avoir besoin d’instructions particulières de son gouvernement. Cessons donc de croire que le mécontentement des manœuvres russes récemment et inopinément découvertes dans l’Orient chrétien ait pu être pour quelque chose dans le mouvement qui a poussé la France de la sympathie pour les chrétiens à la sympathie pour les musulmans.

Ces brusques changemens d’opinion et de conduite font un tort considérable à l’influence de la France dans le monde oriental. L’Orient chrétien sait bien que la France est très désintéressée dans la protection qu’elle accorde depuis longtemps aux populations chrétiennes. L’Angleterre soutient la Turquie pour en avoir, dit-on, le commerce; la Russie soutient les chrétiens orientaux à cause de la conformité des rites religieux et de la prépondérance que lui donne cette conformité : la France seule protège gratuitement et sans intérêt aucun les chrétiens d’Orient. Quand nous paraissons les abandonner, ils se désespèrent et cherchent en quoi ils ont péché contre nous. Ne trouvant pas que nous ayons aucune raison d’intérêt de nous plaindre d’eux, ils pensent que nous sommes capricieux ou malavisés; ils disent qu’on ne peut pas se fier à nous, et que nous voulons toujours avoir deux cartes dans notre jeu, une carte turque et une carte grecque, dont nous jouons alternativement. Voilà le tort que notre instabilité nous fait en Orient; elle ne nous est pas moins dommageable en Europe. Tant que nous avons été heureux, on prenait nos oscillations pour de savans calculs. Depuis que la fortune ne se pique plus de leur donner un sens en leur prêtant un succès, le public européen, devenu sévère, croit d’avance qu’il y a une faute quand nous changeons de conduite, comme il croyait d’avance aussi autrefois qu’il y avait une habileté.


II.

Résumons et limitons exactement le reproche que nous faisons à la politique française en Orient depuis la déclaration du 29 oc-