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pulation chrétienne sait qu’elle ne peut croire à rien qui ne lui sera pas garanti par les grandes puissances chrétiennes. »

J’ai un certain plaisir, je l’avoue, à rappeler les documens qui témoignent de l’esprit qui en 1854 et plus tard en 1856, au congrès de Paris, inspirait les hommes d’état de la France et de l’Angleterre. Cette politique n’était pas seulement la plus généreuse, c’était la plus habile; c’était celle qui affranchissait le plus sûrement l’Orient chrétien de l’influence de la Russie en substituant les intérêts et les droits de l’Orient chrétien lui-même aux intérêts et aux prétentions de la Russie. Il n’est pas extraordinaire que les Grecs opprimés par les Turcs préfèrent les Russes aux Turcs; mais faites que les Turcs n’oppriment plus les Grecs, et que ceux-ci aient une bonne condition sociale, ou qu’ils soient indépendans : alors ils se préféreront naturellement aux Russes par cette raison prise dans l’étude du cœur humain qui fait que je préfère mon voisin à mon ennemi, mais que je me préfère moi-même à mon voisin. La politique occidentale du traité de Paris en 1856 travaillait à faire en sorte que l’Orient chrétien eût de quoi se préférer lui-même à la Russie. Ce sera notre éternel regret que cette politique, qui est écrite à chaque ligne du traité de Paris, n’ait pas été pratiquée avec persévérance et avec intelligence en Orient par les puissances occidentales depuis 1856 jusqu’à nos jours. — Le traité de 1856, dont vous invoquez l’esprit, me dit-on, contre la politique anti-hellénique de la France et de l’Angleterre, a deux buts parallèles : le premier est de sauver la Turquie du joug de la Russie, le second de relever la condition sociale de l’Orient chrétien et de lui donner un avenir à défendre contre la Russie elle-même. Si l’Orient chrétien, trop préoccupé de ses espérances de régénération et de ses prétentions d’indépendance, travaille contre le salut de la Turquie, si le second but se dresse, pour ainsi dire, contre le premier, n’est-ce pas aux puissances occidentales qu’il appartient de trancher ce conflit mal opportun et de maintenir le sens véritable du traité de 1856?

Voilà l’objection; voici notre réponse, qui touchera deux points différens, la Grèce d’abord et l’insurrection crétoise, — la Russie ensuite et sa politique en Orient, que nous croyons moins machiavélique et moins persévérante qu’on ne le suppose en général.

Nous commençons par reconnaître de bonne foi que la politique de 1856, ayant deux buts différens et qui semblent opposés aux esprits inattentifs, est assez difficile à pratiquer. Il ne faut point en effet faire un pas en avant d’un côté sans en faire un autre en avant aussi de l’autre côté. Il faut soutenir à la fois et presque également la Grèce et la Turquie. L’équilibre n’est pas facile à garder, nous l’avouons; mais si au lieu d’une politique d’équilibre on prend une